Inauguré ce mardi 22 mai, Les 3T, désormais piloté par la compagnie Le Tambour des Limbes en lieu et place de la compagnie Jolie Môme, récemment évincée par la Mairie de Saint-Denis, entend devenir une « maison de l’émergence théâtrale et musicale », malgré l’étonnante fragilité de son modèle économique.
Un agent de la voirie de la ville de Saint-Denis s’arrête, un temps, à la hauteur du 14 rue Saint-Just. Construit à la fin du XIXe siècle, l’édifice qui lui fait face ne lui est sans doute pas inconnu, mais l’homme semble interpellé par le nom fraîchement inscrit à son frontispice : « Théâtre Les 3T », comme « Théâtre du Troisième Type ». Et il a l’oeil. Officiellement inauguré ce mardi 22 mai, ce nouveau lieu culturel dionysien remplace désormais le Théâtre de La Belle Étoile dont la compagnie Jolie Môme a rendu les clefs, en février dernier, au cours d’une soirée de débaptisation. Après dix-neuf années de présence, la troupe avait été sommée de quitter les lieux par la Mairie de Saint-Denis qui entendait, en tant que propriétaire des murs, reprendre le contrôle de cet équipement théâtral.
Au terme d’un appel à projets qui a vu huit compagnies s’affronter, dont six à l’occasion d’un oral, c’est finalement Le Tambour des Limbes, dirigée par Rémi Prin, l’ancien directeur technique et programmateur des Déchargeurs, lui-même bouté hors de ce lieu après sa liquidation judiciaire en septembre 2023, qui a été retenue en fin d’année dernière pour une durée de cinq ans. Accusé par la compagnie Jolie Môme, proche de la gauche radicale, d’avoir mis en oeuvre, par ce changement, une « décision politique », le maire socialiste de Saint-Denis, Mathieu Hanotin, campe, aujourd’hui encore, sur ses positions : « Je crois, et nous avons pu l’observer pendant son oral, que la compagnie était arrivée au bout de cette histoire longue de dix-neuf ans. En dehors des rares spectacles accueillis, Jolie Môme n’avait créé que deux spectacles au cours des sept dernières années, et le théâtre était ouvert de façon beaucoup trop erratique. Or, nous voulons que le public, et notamment les habitants du quartier de La Plaine Saint-Denis, puisse retrouver une habitude de lieu de vie qui va, au fil des mois, se réactiver. »
Pour mener à bien ce projet, Rémi Prin s’est entouré de deux partenaires « qui couvrent des domaines dans lesquels Le Tambour des Limbes est moins spécialiste » : la société de production Compote de Prod, dédiée aux spectacles jeune public et au théâtre musical, qui présentera des sorties de résidences de création et s’occupera de la programmation à destination des plus jeunes ; et la compagnie La Bande à Léon, co-fondée par Audrey Bertrand, qui, en tant que collectif spécialisé dans les actions culturelles, sera associée au lieu. « En parallèle, nous souhaitons également développer des partenariats avec d’autres lieux d’émergence, mais aussi avec le Théâtre Gérard-Philipe, CDN de Saint-Denis, avec qui nous sommes déjà en discussion », ajoute Rémi Prin.
Après plus de trois mois de travaux, qui ont transformé le bâtiment du sol au plafond, Les 3T proposera une série d’événements ponctuels jusqu’à l’été – parmi lesquels le spectacle de Franck Harscouët, Je m’appelle Adèle Bloom, la sortie de résidence du Moby Dick de Lina Lamara ou encore le cabaret queer du Club Désamour, Les larmes de Vénus, présenté à l’occasion de La Quinzaine des Fiertés –, avant d’adopter, à partir de la rentrée, son rythme de croisière : un spectacle par semaine, porté par des compagnies émergentes, sur une durée d’exploitation de quatre ou cinq jours, conformément à l’engagement pris dans la convention signée avec la municipalité dionysienne. « Au-delà des discussions, conférences et ateliers que nous pourrons également accueillir, nous tenions également à ce que le théâtre dispose d’un vrai bar ouvert du mercredi au dimanche dès 15 heures afin que ce lieu de l’émergence théâtrale et musicale soit une véritable maison », complète Rémi Prin.
Avec ses tarifs modérés, mais loin d’être modiques pour le quartier – entre 5 et 7 euros pour une pinte de bière, 5 euros pour un jus de fruits ou 3,50 euros pour un soda –, cet espace de sociabilité sera aussi une source de recettes non négligeables pour le théâtre, dont l’actuelle fragilité économique a de quoi étonner pour un lieu qui, à en croire Mathieu Hanotin, « s’inscrit dans la volonté de démocratisation culturelle » de la Ville. « Ni vraiment théâtre privé, ni vraiment théâtre subventionné », selon les mots de son directeur, il doit se contenter, pour l’heure, d’une subvention annuelle de 50 000 euros de la part de la Mairie de Saint-Denis – complétée par une subvention ponctuelle de l’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP) qui a financé l’équipement en LED de la salle. « Aujourd’hui, les autres tutelles nous demandent de faire nos preuves avant de potentiellement s’engager, mais nous allons poursuivre nos discussions avec elles, notamment avec le département de Seine-Saint-Denis et la région Île-de-France », complète Rémi Prin. En plus de la billetterie, Les 3T pourra aussi tirer profit des bureaux et des espaces de stockage loués à la société Compote de Prod et entend bien, grâce au réaménagement des caves, séduire d’autres compagnies en quête d’endroits pour entreposer, moyennant finance, leurs décors.
Résultat : loin d’être en mesure d’acheter ou de co-produire des spectacles, le théâtre doit en passer par une co-réalisation « à 50-50 et sans minimum garanti » avec les compagnies, soit un partage de recettes équitable, mais forcément chiche avec une salle dotée de seulement 149 places et une volonté de pratiquer des « tarifs bas pour permettre l’accès au plus grand nombre », imposée par Mathieu Hanotin. « Lorsqu’on programme un spectacle, on prend ainsi un risque égal avec les compagnies et c’est d’ailleurs cette logique que nous appliquions aux Déchargeurs », souligne Rémi Prin. Une « logique » qui, si elle leur permet parfois d’obtenir des subventions, ne donne pas toujours l’occasion aux compagnies d’engranger suffisamment d’argent pour payer l’ensemble des cachets des comédiennes et des comédiens présents au plateau sur toute la durée d’exploitation d’un spectacle, et alimente, tout en leur offrant une visibilité, la précarisation grandissante des structures les plus fragiles.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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