Le théâtre de la Huchette, le plus petit des grands théâtres parisiens, fête le samedi 2 Mars 2024, la 20 000éme représentation de ses deux classiques de Ionesco : « La cantarice Chauve » et « La leçon ».
Alors qu’il s’asseyait à la table d’un café à Saint Michel, Nicolas Bataille lut pour la première fois à une troupe, deux scènes d’un jeune auteur, Eugène Ionesco.
Un couple qui n’a plus rien à se dire après vingt ans de mariage passe la soirée avec un autre qui ne se reconnaît plus. Aussitôt ayant lu l’extrait, les comédiens Simone Mozet, Odette Barrois, Paulette Frantz et Claude Mansart s’exclament : « Il faut monter ça ! »
Très vite, Nicolas Bataille prend rendez-vous avec Ionesco pour lui exprimer son souhait de monter la pièce. Ce à quoi ce dernier répond : « Mais vraiment ? vous êtes fou ? Tout le monde me dit que c’est injouable ».
Après cinq mois de répétition, Ionesco réussit à trouver un salon pour présenter la pièce. Seulement, malgré la mise en scène comique, personne ne rigole… Alors, Akakia Viala, sa complice lui conseille un revirement à cent quatre-vingts degrés : jouer contre le texte, dramatiquement. Bataille adopte l’idée et l’enrichit. Sur ce texte insensé, la mise en scène solennelle et cérémonieuse se révèle irrésistible. Puis, lors d’une des répétitions, un acteur, Jacques-Henry Huet fait un lapsus linguae et remplace l’« institutrice bonde » par « la cantatrice chauve », titre que Ionesco garda. La troupe réussit grâce à l’auteur à jouer au théâtre des Noctambules mais avec comme heure de passage 18h.
Le public ne fait pas consensus mais des auteurs comme Breton, Camus ou Queneau sont conquis. Malgré tout, au bout d’un mois, la troupe est contrainte d’arrêter les représentations, faute de monde.
L’année suivante, au Théâtre de Poche, Marcel Cuvelier monte La Leçon, deuxième opus de Ionesco, à peine mieux accueilli par la critique. Même si Marc Beigbeder note dans Le Parisien Libéré, le 28 février 1951 : « Une invraisemblance si habile, si ingénue et, finalement, si près d’une vraisemblance plus profonde que l’on rit en ayant bien l’impression d’avoir appris, en se moquant, quelque chose ».
Et la reprise timide des deux pièces, pour la première fois jouées ensemble, au Théâtre de La Huchette, en 1952-53, n’ira pas au-delà des trois mois. Cependant, en février 1957, l’incroyable se produit. Tout Paris, et même le « Tout-Paris », se presse rue de La Huchette.
« La petite salle reçoit chaque soir un public composé de connaisseurs et de snobs retardataires qui viennent en hâte prendre contact avec cet Eugène Ionesco que nul ne doit plus ignorer », écrit Max Favalelli, le 28 février dans Ici-Paris. La mode a enfin rejoint Ionesco, jusque-là trop en avance. « La force cosmique, la poésie profonde de cette pièce sont frappantes. La Cantatrice Chauve vieillit bien. Elle vieillit même très bien », écrit Georges Lerminier dans Le Parisien Libéré, le 20 février 1957. Il ne croyait pas si bien dire, celui qui écrivait ces lignes au temps du président Coty. Les présidents et même les Républiques passent, La Cantatrice Chauve et La Leçon demeurent.
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !