Le rire a subi une transformation épouvantable au long des millions d’années d’existence des êtres qui rient. J’ignore à quelle étape de son évolution le rire a cessé d’être un attribut rare, un trésor perturbateur, pour se transformer en une réitération banale.
Je ne pense pas que l’homme primitif ait passé son temps à rire (pas plus qu’à grogner), ni qu’il ait ri de tout. Je ne pense pas non plus qu’il ait ri en groupe.
Je suppose que le rire était un don spirituel, quelque chose de magique, que personne au sein de la communauté ne comprenait vraiment, et qui, j’insiste, faisait irruption très rarement et sans raison apparente.
Aujourd’hui, le rire est pour nous le pire des outils sociaux : un rire qui sépare au lieu de nous rapprocher, et qui est tout sauf un geste captivant. Les rires sont tellement faux et artificiels qu’ils finissent par éloigner les rieurs, quand bien même ces derniers seraient physiquement proches les uns des autres, dans une fête, dans un bar ou dans un jardin.
Disons que lorsque tout le monde rit, on peut apprécier la façon dont les corps deviennent transparents, perdent de leur consistance, de leur poids, de leur odeur. C’est probablement quand les adultes rient face aux bébés que l’on atteint le plus haut degré de pathétique.
Bourré de signifiés externes et vide de contenu énigmatique, voilà comment le rire se présente à nous aujourd’hui. Le rire a perdu, semble-t-il, son caractère tellurique. Tout lien avec les entrailles.
À présent le rire est un mur couronné de fil de fer barbelé et de tessons de bouteilles, c’est une arme que les peureux portent sur eux pour sortir ; on peut même s’entraîner au rire chez soi, avant de sortir, et même en voiture.
La place du rire des entrailles est occupée par le rire qui fuse comme un ressort, une grimace sociale qui atteint son climax quand on a consommé un tant soit peu de drogue ou des litres de bière. La musique dans un lieu y contribue aussi, et le rire alors dessine sur les bouches et les yeux des rieurs des paysages embroussaillés, des visages tendus que j’évite de regarder trop attentivement.
Si nous rions de la façon dont nous rions, c’est à l’évidence parce que nous ne sommes pas heureux. Note d’intention de Rodrigo García Traduction de Christilla Vasserot
Rodrigo García
Muerte y reencarnación en un cowboy
une proposition de Rodrigo García
lumière, Carlos Marquerie
direction technique, Roberto Cafaggigi
son, Vincent Le Meur
production de tournée, Diego Lamas
régisseur général, Jean-Pierre Timouis
avec
Juan Loriente,
Juan Navarro,
Marina Hoisnard
durée : 1h45
spectacle en espagnol surtitré en français
Production La carnicería teatro, Madrid, Théâtre National de Bretagne, Rennes
Spectacle créé en septembre 2009 au TNB – Théâtre National de Bretagne, Rennes.
samedi 19 janvier 2013 à 17h30
Rencontre philosophique : « Membres fantômes : le corps entre phénoménologie et neurologie »
Emmanuel Alloa invite Catherine Malabou en regard de la pièce de Rodrigo García
(entrée libre sur réservation)
hTh de Montpellier
Du 10 au 14 mai 2016
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