Avec Le Mensonge, la compagnie Act2 emmenée par Catherine Dreyfus signe une adaptation dansée cohérente du livre jeunesse éponyme. Un spectacle poétique et subtil à la réflexion et à l’imaginaire puissants.
Le Mensonge, d’abord, c’est un livre pour enfants. Paru en 2016 (aux éditions du Rouergue – Actes Sud), l’ouvrage signé par Catherine Grive et illustré par Frédérique Bertrand (accessible dès 5 ans) raconte l’histoire d’une fillette. Cet enfant dont nous ne connaîtrons pas le prénom – pas plus que l’objet du mensonge –, va voir sa vie, son quotidien avec ses parents, tout ce qui l’entoure bouleversé par une tromperie de plus en plus envahissante. Transposé au plateau par la danseuse et chorégraphe Catherine Dreyfus, ce livre sensible et délicat par sa façon de ne jamais verser dans le moralisme trouve en scène un prolongement aussi ludique que vivifiant. Pour l’adaptation, Catherine Dreyfus a réuni trois interprètes. Ce sont, donc, deux danseurs (jouant les parents) et une circassienne (interprétant la petite fille) à la présence aussi concrète que précise qui portent ce spectacle brillamment éloquent quoique sans paroles – à l’exception de la diffusion d’une brève séquence de voix d’enfants compilant les témoignages de ce que mentir suscite chez eux comme émotions et réflexions.
D’abord, c’est l’enfant seule que le public découvre. Déboulant sur scène, écoutant un conte audio – sorte de Pierre et le loup – la fillette investit ce qui semble de prime abord être le seul élément scénographique : un carré en damier faisant, ici, office de sol de sa chambre. Le damier va se recomposer à loisir, au gré des séquences, révélant par l’usage qu’en fait le trio – comme par les meubles (table et chaises) qu’ils en font surgir – d’autres espaces (métaphoriques) de la maison. Déplié, replié, déplié, déplacé, recomposé, ce damier mis en mouvement par les interprètes voit son déploiement accompagné par des gestes stylisés jouant des saccades comme des déliés. C’est une routine des jours qui nous est donnée à voir, dans un univers décalé empreint d’humour, un monde ludique et coloré soutenu par l’ensemble des artifices scéniques, des costumes à la création lumières et jusqu’à la riche partition musicale. Un quotidien joyeux et sans anicroches – et avec beaucoup de complicité – où les variations dans les petits rituels sont de ceux qui font une vie, des repas aux jeux partagés. Jusqu’à ce que l’arrivée du fameux mensonge enraye la machine …
Surgissant sous la forme d’une petite balle rouge (renvoyant aux jeux d’enfants, à un ballon gonflé à l’hélium – immortalisé dans le court-métrage de Robert Lamorisse en 1956 – comme au nez de clown), cet élément a priori inoffensif, plaisant, va s’installer. Pire, il va se multiplier – rappelant qu’un mensonge en amène bien souvent d’autres pour consolider ou justifier la véracité du premier. Au plateau, il va prendre progressivement diverses formes : luminaires (renvoyant, donc, au ballon flottant au vent), motifs de pois rouges sur les vêtements des parents, etc., jusqu’à ce que la couleur sature tout l’espace – jusqu’aux lumières. Là encore, l’inventivité formelle aussi pertinente qu’efficace signale de façon poétique et allégorique comment un mensonge, un seul, peut modifier des relations, des rapports. Car la progressive contamination de l’ensemble du plateau par le motif de la balle rouge s’accompagne d’un dérèglement général. Les espaces de vie sont chahutés, le paysage mental de la fillette est envahi, et va jusqu’à rendre le dialogue avec ses parents impossibles. Cette progressive dégradation des relations comme de l’environnement concret et psychique affectant l’ensemble des artifices scéniques résonne également dans le langage des gestes, de la danse, soulignant, notamment, l’inquiétude sourde atteignant l’enfant. Sauf que rien n’est irrévocable et une fois le mensonge avoué, la baudruche (la robe, en l’occurrence) dégonflée, chacune et chacun reprendra sa place. Comme avant ? Presque. Car à la légèreté et à la tendresse retrouvées des trois personnages s’ajoute la conscience d’une étape traversée, dépassée ensemble, et au public avec justesse et finesse adressée.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Le Mensonge
chorégraphie Catherine Dreyfus / d’après Le Mensonge de Catherine Grive et Frédérique Bertrand © Rouergue, 2016 / interprétation Maryah Catarina Dos Santos Pinho ou Fiona Houez, Jérémy Kouyoumdjian ou Rémi Leblanc-Messager, Cloé Vaurillon ou Anna Konopska / accompagnement dramaturgique Noémie Schreiber / lumières Aurore Beck / musique Stéphane Scott / costumes Nathalie Saulnier / scénographie Oria Steenkiste, Catherine Dreyfus / construction du décor Les Ateliers de L’Opéra National du Rhin / voix Isabelle Gouzou / régie de tournée François Blet ou Achille Dubau ou Milan Dubau
production compagnie Act2 / coproduction Equilibre-Nuithonie (Fribourg, Suisse), Chorège – CDCN Falaise Normandie, CREA – scène conventionnée (Kingersheim), Tanzmatten (Sélestat), Espace Boris Vian (Les Ulis), Espace Germinal (Fosses), Friche artistique de Besançon – Association NA/Compagnie Pernette / soutiens CCN de Mulhouse – Ballet de L’Opéra National du Rhin, Théâtre de Rungis, Visages du Monde (Cergy), Espace Lino Ventura (Garges-lès-Gonesse) / avec le soutien du ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles Grand-Est, de la Collectivité européenne d’Alsace, du conseil départemental du Val d’Oise, de la ville de Mulhouse, de l’ADAMI, de la SPEDIDAM, de la Caisse des Dépôts / spectacle ayant bénéficié de l’aide de l’Agence culturelle Grand Est au titre du dispositif « Résidence de coopération » / la compagnie ACT2 est conventionnée par le ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles Grand-Est.
A partir de 5 ans
Durée 50 minutes
Théâtre Paris Villette
du 4 au 21 avril 2024Scène nationale de Sénart – Lieusaint (77)
du 15 au 18 maiFestival Théâtral de Coye-La-Forêt (60)
Les 3 et 4 juinFestival OFF d’Avignon – LaScierie
du 3 au 21 juillet à 9h45 (relâche les lundis)
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