L’amour, l’amour, l’amour… Céline Champinot se le coltine à bras-le-corps et le verbe haut avec ce cabaret surréaliste et toqué qui nous balade en une cartographie amoureuse loin d’être tendre. Sous le signe du désastre amoureux, Le Mauvais Sort n’en est pas moins la preuve vibrante que la passion est un moteur puissant, source de désordre et, qui sait, le remède à notre sort ?
Si l’on en croit le titre de sa précédente création, petite forme tout terrain conçue à destination des adolescents, Juliette et Roméo sont morts. Mais pas l’amour, nous crie Le Mauvais Sort, cabaret des cœurs brisés qui s’inscrit sur les décombres de nos histoires défuntes et les cendres de nos sentiments les plus ardents, sur les vestiges de nos relations ravagées et le vertige des promesses non tenues. Céline Champinot poursuit son exploration contemporaine, littéraire et scénique, autour de cette force subversive par excellence, universelle et intemporelle, qui a fait couler tant d’encre et tant de larmes, qui fascine autant qu’on s’en méfie : l’amour. Et imagine une revue détraquée, boiteuse et cabossée, sismique et colorée, au sein d’un vieux théâtre en ruines, peuplé de fantômes et de regrets. Un sanctuaire satirique et éperdu où les états d’âme se vivent encore jusqu’à l’extase, où le rire se frotte à la douleur et la variété va droit au but. Un écrin hors des modes où tous les coups sont permis et les coups de foudre encore possibles, où les ruptures se digèrent à coups de malaises, de confettis, de tours de magie et d’un penchant cathartique pour l’extravagance et le Grand Guignol.
Dans ce show aussi décadent que drôle, qui renoue avec les origines transgressives et politiques du cabaret, quatre personnages, archétypes sociétaux passés au mixeur de la parodie, se disputent le micro et le devant de la scène : un policier stripteaseur (Julien Villa, impayable), un docteur maître de cérémonie, magicien ou psychanalyste à ses heures (Zakary Bairi, délectable), une journaliste humoriste ou vice versa (Anaïs Gournay, survoltée) et une vedette, belle au cœur en miettes, diva divine et animale (Cléa Laizé, reine en son domaine, magistrale, toute en panache et déchirure). Un quatuor flamboyant qui mute en polyphonies chantées d’une beauté folle – la reprise du tube de Serge Lama est renversante – où chacun se raconte et se relaie dans des numéros tous plus burlesques et explosifs les uns que les autres. L’excentricité règne, mais l’ambition littéraire demeure, et le texte de Céline Champinot, gourmandise d’intelligence et de malice, se reçoit cinq sur cinq avec un réel bonheur, tandis que la composition visuelle en met plein la vue, témoin d’une recherche formelle high level.
Le décor (sublime scénographie d’Émilie Roy) diffuse sa magie noire et sensuelle – nappes en skaï, rideau en rouge et noir iridescent –, les lumières de Claire Gondrexon tissent des ambiances crépusculaires et des pénombres fantasmatiques, les costumes d’Antonin Fassio, pétillants de couleurs franches et de fantaisie débridée, sont rehaussés de perruques et maquillages au poil (contribution de la complice Rébecca Chaillon). C’est un festival de robes et d’ensembles variant les coupes et les tissus, dessinant des silhouettes exubérantes d’un chic ultime, un défilé de créatures blessées, un festival d’écorchés vifs, une fête pathétique et funeste où les rires se transforment en râles d’agonie, où le sang jaillit en rafales et le cœur arraché finit sur la table. Céline Champinot empoigne l’amour par là où ça fait mal, et ne s’embarrasse pas d’histoires. Il n’y a pas de narration qui tienne le choc face au tsunami de la passion, mais seulement l’envie d’explorer les états paroxystiques dans lesquels le sentiment amoureux peut encore nous plonger, en questionner le pouvoir de désordre et d’insoumission face à des figures d’autorité (le flic, le médecin, la journaliste et la star). Le désir est un carburant sans commune mesure pour les fictions qui abreuvent nos imaginaires en porosité, les ruptures la source de nos effondrements les plus spectaculaires. Aimer avec intensité fait déborder du cadre, envoie valser les conventions autant que les convictions. C’est un puissant trouble à l’ordre public que la metteuse en scène magnifie dans sa part sombre.
Céline Champinot nous entraîne dans ce yoyo propre à l’état amoureux, dans ses excès et ses grands écarts. Entre la tragédie et la farce, le ridicule et le romantisme, elle invente une forme chaotique et mouvante qui jamais ne s’enlise dans une scène ou une situation, jamais ne se complait dans une émotion. Tout en revirements et changements de ton, Le Mauvais Sort nous joue des tours et invente des rituels expiatoires pour purger nos peines de cœur, et faire de nos expériences amoureuses malheureuses le terreau d’un carnaval jovial et irrévérencieux.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Le Mauvais Sort
Texte et mise en scène Céline Champinot
Avec Zakary Bairi, Anaïs Gournay, Cléa Laizé, Julien Villa
Scénographie Émilie Roy
Lumière Claire Gondrexon
Costumes Antonin Fassio
Son Raphaël Mouterde
Dramaturgie Elise Bernard
Arrangements musique Antoine Girard
Collaboration maquillage Rébecca Chaillon
Confection costumes Marie Delphin et Catherine Sardi (atelier costumes du Théâtre des 13 vents)
Construction François Fauvel (La Fonderie)
Trombone Aloïs Benoit
Stagiaires mise en scène Salomé Baumgartner, Lucie BonnefoyProduction Groupe LA GALERIE
Coproduction Théâtre des 13 vents CDN Montpellier ; Théâtre de la Manufacture CDN Nancy Lorraine ; Studio-Théâtre de Vitry ; Cie dans le ventre ; Théâtre Varia — Bruxelles ; La Maison des Métallos ; Théâtre de la Bastille
Soutien ENSAD Montpellier ; La Fonderie (Le Mans) ; T2G Théâtre de Gennevilliers — Centre Dramatique National ; Théâtre Paris-Villette ; Nouveau Théâtre Besançon Centre dramatique national ; L’Œil-écouteCéline Champinot et le groupe LA GALERIE sont associés au Théâtre des 13 vents et au Studio-Théâtre de Vitry.
Durée : 1h40
Théâtre des 13 vents, CDN Montpellier
du 11 au 18 décembre 2025Studio-Théâtre de Vitry
du 7 au 10 janvier 2026Théâtre de la Manufacture, CDN Nancy Lorraine
du 13 au 16 janvier


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