A Nanterre après Strasbourg, l’artiste suisse Thom Luz livre une version déconcertante de Léonce et Léna. Déconstruite, la pièce de Büchner se présente comme une fable fantaisiste et mélancolique sur une existence sans repère.
De hauts murs blancs, délavés, défraîchis. Pas de portes. On entre uniquement par la fenêtre et en escaladant un radiateur piégeur. L’orage gronde dehors. La pluie tombe en trombes et oblige les acteurs détrempés à essorer leurs vêtements de gala et leurs oripeaux royaux jusqu’à provoquer un rire délicieusement moqueur des figures du pouvoir monarchique qu’ils endossent. Quelque chose de décati et de décadent suinte de cet intérieur chiche, fadasse et fatigué. La pièce de Büchner qu’on a parfois apparentée à un conte de fée ne respire pas la séduction même si la Léna feu-follet à la chevelure argentée de Lisa Stiegler et le Léonce immense et tout dégingandé de Elias Eilinghoff surprennent par leur aspect elfique. L’amour et la jeunesse magnifiés par le dramaturge allemand n’occupent pas ici le premier plan.
On a découvert pour la première fois en France l’univers singulièrement poétique et déglingué de Thom Luz en 2016 aux Amandiers avec les spectacles When I die et Unusual weather phenomena project. Pour Léonce et Léna, créé l’année suivante à Bâle, l’artiste s’attaquait pour la première fois à un texte de théâtre. Il faut vite balayer nos attentes de suivre d’une manière linéaire et exhaustive la trame de l’histoire et les dialogues de Büchner. L’auteur du spectacle est Thom Luz lui-même. Le plus important selon lui n’est pas la parole. Il s’empare des mots comme d’une partition musicale et à coup de variations, de répétitions, de déstructurations, il en fait une matière sensible, vivante, fragmentaire, éclatée. On y plonge et on s’y perd, à l’image des protagonistes errants dans une atmosphère trouble et taiseuse qui rend sourde la révolte bouillonnante de la pièce pour mieux sonder sa puissante mélancolie.
Au delà des mots, Thom Luz (musicien et scénographe) adopte le son et les images comme son langage de prédilection. Les deux parties d’un piano coupé en deux se font face sur le grand plateau, la tessiture haute d’un côté et la tessiture basse de l’autre, obligeant un pianiste à courir de part et d’autre pour jouer son morceau dès le début du spectacle totalement désopilant et très marthalerien. Le rire émane à plusieurs reprises au cours de la représentation qui n’est pas sans loufoquerie. Pour autant, quelque chose de morne, de désespérant, se fait voir et entendre avec persistance. Au moins aussi désorienté que les personnages en fuite et en manque de reconnaissance, le spectateur se laisse gagner par ce tableau étrange et intriguant.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
LÉONCE ET LÉNA
MISE EN SCÈNE
Thom Luz
TEXTE
Georg Büchner
AVEC
Carina Braunschmidt
Annalisa Derossi
Elias Eilinghoff
Martin Hug
Daniele Pintaudi
Lisa Stiegler
DIRECTION MUSICALE
Mathias Weibel
COSTUMES ET LUMIÈRES
Tina Bleuler
TECHNICIEN LUMIÈRES
Tobias Voegelin
VIDÉO
Cedric Spindler
DRAMATURGIE
Katrin Michaels
SON
Andi Döbely
Ralf Holtmann
ASSISTANT À LA MISE EN SCÈNE
Benjamin Truong
PRODUCTION
Theater Basel – Suisse
En allemand surtitré en français
Spectacle créé le 26 octobre 2017 au Theater Basel, Suisse.
DURÉE: 1h30Les Amandiers à Nanterre
17 — 20 JANV. 2019
Jeu., ven. à 20h30
Sam. à 18h
Dim. à 16h
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