La 4ème édition du Festival Vis-à-Vis, temps fort dédié à des projets nés entre les murs d’institutions pénitentiaires se déroule du 20 au 23 janvier 2022 au Théâtre Paris-Villette. Porté par sa directrice artistique Valérie Dassonville, il apparaît comme une utopie bien réelle, ancrée et concrète, la preuve que l’on peut œuvrer ensemble à des récits collectifs inclusifs où chacun trouve sa place, la possibilité d’infiltrer l’art en prison et vice-versa, et d’en faire un vecteur de reconstruction, de réinsertion et de partage.
Organiser un Festival de création artistique en milieu carcéral par temps de Covid n’est pas une mince affaire et c’est un euphémisme de le dire. Mais Valérie Dassonville, son initiatrice et directrice artistique tient bon et malgré les revirements et changements de programme qui viennent pimenter l’aventure. Déterminée et passionnée, Valérie Dassonville pilote cette aventure collective avec une énergie à toute épreuve et le désir intarissable de donner forme et vie à ses valeurs. Nous l’avons rencontrée à l’approche de cette nouvelle édition pour en connaître la genèse et les dessous, comprendre les enjeux qui sous-tendent ce projet atypique et rassembleur.
D’où vient l’idée de ce Festival et sa concrétisation ?
Vis-à-Vis vient de toute une histoire qui, comme toutes les histoires, se nourrit de tas d’alluvions. En tant que directrice de compagnie, dans mon parcours, j’ai été marquée par deux expériences qui m’ont vraiment formée dans tous les sens du terme. Tout d’abord, la co-direction avec François Chaffin et le Théâtre du Menteur d’un théâtre à l’hôpital de Bligny qui a été l’un des premiers équipements culturels permanents en milieu hospitalier dans la lignée des jumelages – culture-justice, culture-santé… – initiés par Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la culture. C’était un vrai théâtre, un bâtiment des années 30 qui avait été construit à l’époque où l’hôpital était un sanatorium. On a trouvé de l’argent privé et public pour le remettre aux normes de sécurité, on a fait les travaux de réhabilitation et on s’est lancé dans une aventure de permanence artistique à travers le déploiement de résidences qui reposaient sur un système d’échange entre les moyens mis à disposition pour les artistes et la présentation de spectacles au public de l’hôpital – le personnel soignant et administratif, les patients – , et du territoire. Un public composite donc. L’idée, c’était d’ouvrir l’hôpital sur la cité et de trouver le lien avec les populations alentour via la présence des artistes dans nos murs. Au-delà de l’expérience professionnelle passionnante, j’ai eu l’impression d’avoir véritablement accès à la dimension humaniste de la poésie, de comprendre empiriquement que la poésie et toute pratique artistique sont la possibilité de maintenir un récit collectif, au-delà des contextes, des générations, des expériences de vie. Réaliser que l’art permet un langage commun, à travers lequel la singularité de chacun peut passer.
Ça, c’est la première expérience. Quelle est la deuxième ?
Quand je suis partie travailler en détention en tant que metteuse en scène. Pendant 5-6 ans, j’ai animé des projets de création pluridisciplinaire à la prison de Fleury-Mérogis. Je m’associais à d’autres artistes, on mélangeait souvent l’écriture, la photo, la musique, le théâtre, et même le cinéma. On travaillait dans des conditions hyper complexes en termes d’infrastructure, voire totalement défavorables à la pratique qu’on venait y mener mais en même temps on avait une vraie carte blanche. Cette confiance, cette ouverture d’esprit, je les ai toujours senties auprès des coordinatrices culturelles, et cette liberté de création venait équilibrer les difficultés d’ordre pratique. Très vite, j’ai eu envie de construire mes projets dans une dialectique dedans-dehors, avec des groupes à l’intérieur et à l’extérieur, que ça circule, même avec un mur entre les deux.
Donc la création en milieu carcéral, vous l’avez d’abord éprouvée vous-même en tant que meneuse de projet…
Oui, jusqu’à ce qu’on obtienne la co-direction du Théâtre Paris Villette avec Adrien de Van, en 2013. Là, j’ai confié à la compagnie avec laquelle je travaillais, le Théâtre du Menteur, de poursuivre les projets à Fleury-Merogis et en 2015 on a imaginé un prototype de création partagée avec une autre équipe artistique, les Héroïnes modernes, pour aboutir à une restitution collective présentée au Paris Villette dans le cadre du Festival Exit, en première partie du danseur Babacar Cissé qui proposait justement un spectacle sur les thématiques de l’enfermement, de l’isolement, de la solitude. Ce n’était pas prémédité mais les résonances entre les deux propositions étaient incroyables. Et ce travail initié en détention avec pour objectif de se jouer à l’extérieur devant un public mixte dans un théâtre à Paris a été le point de départ de Vis-à-Vis. Ce spectacle a d’ailleurs donné son titre au Festival parce que ce nom générique portait en lui des notions qui m’importent, l’idée du regard, du face à face, de la dialectique. Pour moi il y a en sous-texte l’occasion d’une observation réciproque de la société sur elle-même, sur les institutions qui la composent.
C’est là que l’idée d’un temps fort au Paris Villette a germé…
Absolument. L’envie de déployer l’expérience à plus grande échelle. De la répliquer en mobilisant les coordinateurs culturels en détention. C’est-à-dire ceux qui gèrent les actions artistiques en prison. Je les ai contactés un par un en Ile-de-France pour leur proposer le projet et l’étincelle a pris. Nanterre, Fleury, Meaux, Réau, ont répondu présents. La première édition du festival était lancée. Je l’ai d’abord imaginé comme une biennale qui s’inscrit sur quelques jours au TPV mais maintenant que le festival s’est fortifié, il essaime en région. Cette année, on a collaboré avec Lucie Berelowitsch, directrice du Préau à Vire en Normandie et avec la région PACA où d’ailleurs une première édition se tiendra à Châteauvallon en juin 2023. Actuellement, je suis en train de travailler à la “réplique” de Vis-à-Vis en territoires, l’idée étant de s’appuyer sur notre expérience ici en région parisienne pour essayer de la transmettre ailleurs et installer des foyers un peu partout. Ce qui est très beau quand on travaille à un projet comme ça c’est de le faire monter en puissance et de sentir le moment où il faut l’emmener ailleurs pour qu”il puisse continuer à grandir.
Comment s’organise la programmation ?
Je laisse faire si je puis dire, c’est-à-dire que je n’interviens pas artistiquement, je ne sélectionne pas non plus, je n’impose ni forme ni thématique ni angle de travail. Comme je suis aux manettes du projet, je ne voulais pas mélanger mes fonctions. Mon rôle est d’accueillir tous les projets proposés, toutes disciplines et esthétiques confondues. La seule consigne, comme on est un théâtre, c’est que chaque établissement pénitentiaire propose au moins une création scénique. Mais on présente aussi des films, vidéos, podcasts, installations sonores et expositions photographiques en regard des spectacles. Art visuel, art vivant, arts plastiques, tous les moyens d’expression sont les bienvenus. Les formes scéniques font entre 20 et 40 minutes, des formats courts égards aux conditions de répétition, ce qui nous permet d’imaginer des doubles soirées sur un temps de festival assez restreint, avec une politique tarifaire très accessible à 5€ la soirée.
Quelle est la spécificité des projets présentés ?
Chaque projet a sa propre temporalité, sa propre identité, sa propre genèse, sa propre personnalité, mais tous convergent vers des dates communes qui sont la rencontre avec le public. Je ne donne pas de thème volontairement car la création en milieu carcéral est un axe déjà suffisamment fort pour en rajouter un autre. C’est le trait d’union entre chaque projet mais il n’y a pas un seul geste artistique qui ressemble à celui d’à côté. Je suis personnellement sidérée d’assister à l’éclosion de propositions aussi variées dans les esthétiques, les écritures de plateau, les enjeux dramaturgiques. Avec Vis-à-Vis j’ai l’impression d’assister à une montée en puissance de l’acte de création, assumé, exigeant et risqué. Et une affirmation de la place de l’artiste dans la société. Quand tu vois le travail de Claire Jenny ou celui d’Anthony Quenet, ce n’est absolument pas mainstream. On ne nous a jamais présenté des sketchs sur la vie en cellule.
Vous pouvez m’en dire plus sur le travail de Claire Jenny et Anthony Quenet qui présentent chacun une création cette année ?
Ce sont avant tout des artistes qui ont des lignes artistiques très fortes et embarquent les détenus dans leur univers et leur recherche. Claire Jenny travaille depuis presque 30 ans en détention et réalise de véritables créations partagées puisqu’elle mélange détenus, amateurs et danseurs professionnels. Le corps dans l’espace est au centre de ses créations. Quant à Anthony Quenet, c’est un artiste extrêmement singulier qui imagine des fictions/frictions, c’est-à-dire qu’il vient frotter un concept philosophique avec une esthétique cinématographique. C’est presque de l’Art Brut, c’est extraordinaire. Il y a 2 ans il a fait “La sociologie est un sport de combat” de Bourdieu versus la saga des Rocky Balboa avec Sylvester Stallone, un travail sur l’ascension sociale. C’était dingue, je n’ai jamais vu des amateurs, qui plus est des détenus, s’emparer du plateau comme ça. Il a une telle méthode avec eux que c’est vraiment vivant jusqu’au bout tout en étant hyper exigeant intellectuellement. Je suis très enthousiaste de les accueillir à nouveau.
Qu’est-ce qui vous tient le plus à cœur dans Vis-à-Vis ?
L’émergence d’oeuvres à part entière, que j’ai envie de voir se déployer au-delà du Festival et trouver leur place dans d’autres lieux, d’autres programmations. Mais c’est surtout l’aspect collaboratif de ce Festival qui me galvanise, cette impression permanente de nourrir et d’être nourri par les autres, de pouvoir partager son expérience et recevoir en retour celle des autres, l’engagement de chacun pour que chaque édition puisse avoir lieu. C’est vraiment une aventure commune, la notion de faire ensemble que l’on retrouve à toutes les étapes du Festival. Et puis, il y a autre chose : effectuer une peine de prison, c’est avant tout régler sa dette avec la société. Mais cette société, il faut pouvoir la réintégrer après. Donc le travail de l’administration pénitentiaire, c’est la non récidive et la réhabilitation de la personne. J’en rajoute un qui est la notion de pardon. C’est peut-être une notion un peu biblique mais je pense que c’est aussi et surtout une notion humaniste. Je pense qu’il faut que la société se pose la question du pardon pendant le temps où on met la personne “hors d’état de nuire” et que la personne elle-même puisse se poser la question de son propre pardon, qu’elle s’accorde ou pas à elle-même. Et la scène de théâtre, en tant qu’elle est le lieu de la représentation, permet ça. Cette réhabilitation de l’être. Qu’est-ce que c’est représenter ? Présenter à nouveau. Je me présente à nouveau à toi pour que tu me voies à nouveau. C’est toute la puissance cathartique du théâtre, son rôle depuis la nuit des temps et il prend tout son sens avec Vis-à-Vis.
Propos recueillis par Marie Plantin pour Sceneweb.fr
Le programme
jeu 20
→ 19h
L’expérience d’une création – ADN
Cie NAR6 / Centre pénitentiaire de Fresnes
Fictions / Frictions #4
Cette Compagnie-là / Centre de détention de Melun
ven 21
→ 19h
Surgir
Théâtre du Menteur / Maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis
Horizons intérieurs
Cie Point Virgule / Atelier de Paris CDCN / Centre pénitentiaire Sud-Francilien
sam 22
→ 19h
À nos pères
Collectif la cavale / Le Préau CDN de Norman- die – Vire / Centre de détention d’Argentan
Fictions / Frictions #5
Cette Compagnie-là / Centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin
dim 23
→ 17h30
Action(s)
Cie Keatbeck / Centre pénitentiaire Paris – La Santé
Nos traversées
Cie Surlefil / Centre pénitentiaire d’Aix Luynes
+ installations permanentes
Prendre sa place, écoutez-nous, regardez-nous !
Christophe Loiseau / Espace Jules Verne – Brétigny / Maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis
Je gratte les mots, je fais le son
Billet d’Humeur / ACP Manufacture Chanson / Maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis
Le monde en questions
L’Indicible Compagnie / Centre pénitentiaire Sud-Francilien
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