Le festival Komidi fait battre le coeur du théâtre sur l’île de la Réunion
Komidi est devenu le plus grand festival de théâtre d’Outre-Mer. La 15e édition se déroule sur l’île de la Réunion jusqu’au 14 mai et présente 50 spectacles dont 21 issus de compagnies locales. Le coeur du festival se situe à Saint-Joseph, dans le Sud, mais le festival irrigue désormais toute l’île dans 17 scènes partenaires et dans 8 villes. Le festival fonctionne gràce à une équipe de 120 bénévoles. Rencontre avec son Président, Philippe Guirado.
Vous êtes cofondateur du festival. Comment l’histoire a débuté ?
Je suis un amateur de théâtre, et avec mon épouse, nous sommes tous les deux dans l’enseignement. Elle est directrice d’école, je suis professeur d’histoire-géographie et nous avions à coeur de résoudre les difficultés scolaires de nos élèves et leur faible accès à la culture. Nous sommes sur l’île de la Réunion. C’est déjà évidemment très loin de l’offre culturelle nationale, et ici dans le Sud, nous sommes très éloignés des centres culturels. Pour aller à Saint-Pierre, la ville la plus proche, il n’y a pas de bus le soir. C’est impossible pour un jeune d’aller voir un concert ou un spectacle : c’est une expédition.
Vous êtes partis de quoi ? D’une page blanche ?
Absolument. On n’avait absolument rien. Mais quand je dis rien, c’est rien. On n’avait même pas un projecteur, on avait juste cette idée et ce besoin. Nous avons présenté le projet au maire. Notre public cible, c’était l’élève de seconde. On a commencé le premier festival avec une seule scène à Saint-Joseph. La très grande et très belle surprise, c’est que la première représentation du soir était pleine. Et puis la deuxième aussi, et puis la troisième aussi. Et puis l’année d’après, il y a eu encore plus de demandes. On a trouvé une deuxième scène à Saint-Joseph. Et aujourd’hui, quinze ans plus tard, le festival fonctionne sur 17 scènes en même temps. Au départ, c’était le festival du Sud sauvage, c’est désormais, un festival qui s’étend sur toute la Réunion jusqu’à Saint-Denis.
Comment faites-vous pour financer ce festival ?
D’abord, il y a beaucoup d’huile de coude avec les 120 bénévoles qui se démènent formidablement. Ensuite, on a un partenariat public privé. Les institutions, les collectivités nous soutiennent : l’Europe, la Région, l’Etat. Un financement vient également des salles partenaires comme Léspas culturel Leconte de Lisle à Saint-Paul qui est une salle ouverte à l’année, la Cité des arts et le Théâtre Vladimir Canter à Saint-Denis, les musées régionaux qui possèdent deux belles salles : l’auditorium Pierre Roselli du musée du sucre à Saint-Leu et la Cité du Volcan au Tampon. Et puis évidemment toutes les communes. Enfin deux fondations privées nous aident. La fondation La Réunion des talents et la Fondation Océindes, ainsi que la société Zeop, qui est une société d’accès à Internet et de téléphonie mobile.
La France est le pays de la décentralisation théâtrale depuis 1947. Ave-vous le sentiment de participer à la décentralisation théâtrale sur l’île ?
Oui, mais la décentralisation a ses limites. Comme tout dispositif. La Réunion est une île montagneuse avec des réseaux de transports qui ne sont pas aussi développés que dans les grandes métropoles. On a la chance d’avoir un CDN à Saint-Denis, mais quand on habite Saint-Joseph, c’est très compliqué de s’y rendre. Donc il faut continuer cette décentralisation. Les services culturels des communes le font avec des programmateurs dans les théâtres municipaux. Et nous, à notre échelle, on permet à la population de Saint-Joseph de pouvoir accéder au théâtre, notamment celle qui habite dans les villages des Hauts. On a deux scènes sur les hauteurs dans des Maisons pour Tous, à la plaine des Grègues – la région du Curcuma – et à Jean-Petit, une autre localité dans les hauts de Saint-Joseph. On y installe des gradins, des ponts techniques et les spectateurs sont les gens du quartier qui peuvent acheter leur place par le biais de l’école primaire. C’est plein tous les soirs. Une fois qu’on a pris les gens par la main, ils reviennent ensuite avec leurs enfants, avec leurs amis. C’est vraiment le théâtre pour tous.
Comment faites-vous votre programmation ?
Nous sommes une équipe de sept programmateurs. Le Off à Avignon est parfait pour nous parceque dans un temps réduit, on dispose d’une offre formidable. Donc nous nous rendons en délégation pendant une semaine tous les étés. Et là, nous consommons beaucoup de théâtre puisque nous voyons entre quatre et cinq spectacles par jour. Ce qui fait à peu près 200 spectacles vus par toute l’équipe. Après quinze ans, avec l’expérience, on sait où aller. On connaît de plus en plus de monde dans le milieu théâtral et on se fie aussi à la presse spécialisée. On choisit chaque année entre 20 et 30 spectacles. On a la capacité d’inviter environ une centaine de personnes.
Les troupes viennent de Métropole, d’Europe, mais il y a aussi les troupes locales. Comment s’opére votre choix ?
Notre volonté est d’aider les artistes réunionnais. Cette année, sur les 50 spectacles en programmation, 21 sont issus de la création réunionnaise. L’Association est accréditée Erasmus. Nous avons le projet d’envoyer des artistes réunionnais se former en Europe. Et nous avons aussi notre Académie qui s’appelle Lakademi Komidi avec douze artistes qui se forment toute l’année avec des intervenants professionnels, locaux ou extérieurs, et l’idée est de créer un spectacle en 2025 dans le Off à Avignon.
Comment sont choisis les élèves qui participent à Lakademi Komidi ?
C’est un vrai projet de développement territorial de théâtre sur Saint-Joseph. J’ai déjà évoqué l’éloignement de notre commune. C’est très compliqué pour un jeune Saint-Joseph d’aller au conservatoire de Saint Pierre. C’est facile d’y arriver en bus, c’est impossible de repartir le soir. C’est très cher aussi d’aller faire des études en France métropolitaine. Lakademi Komidi est pilotée par deux comédiens professionnels. Florian Jousse qui est de La Réunion et l’auteur et metteur en scène Eric Bouvron. Ils assurent la codirection artistique du dispositif et ils ont mis en place un plan de formation. Ces douze artistes ont été sélectionnés après des masterclass. Ce n’étaient pas des auditions. Ils sont venus de toute l’île et représentent la société réunionaise. La plus jeune a 18 ans, le plus âgé est à la retraite. Ils ont déjà commencé à bénéficier de quatre formations. Serge Poncelet a fait une formation sur les masques balinais, Kamel Isker, une formation sur le théâtre classique. Soraya Thomas, une formation en danse. A l’issue de cette première année, on va basculer vers un processus de création qui va se prolonger avec un spectacle dans le Off à Avignon lors de la troisième année en 2025. Et à côté de cette Académie, nous avons aussi un dispositif pour les scolaires, 30 classes vont bénéficier de 10 h d’ateliers théâtre. Et un autre avec des ateliers amateurs pour les adultes.
Est ce que le festival a fait naître des vocations depuis sa création ?
Énormément. Je suis enseignant au lycée de Saint-Joseph et dans ce lycée, il y a forcément désormais un ADN théâtre. Une section théâtre est née, une section danse également. Plusieurs élèves de Saint-Joseph ont décidé, après le bac, de poursuivre des carrières artistiques. Un élève a fait l’École supérieure d’art dramatique de Paris et actuellement un autre est au Conservatoire de Paris. Les enfants ont grandi avec Komidi quand ils étaient en maternelle, à l’âge de trois ans. Ils ont 18 ans aujourd’hui.
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