Emio Greco et Pieter C. Scholten, les directeurs du Centre Chorégraphique National – Ballet National de Marseille (CCN/ BNM) vont céder leur poste à l’issue de leur premier mandat à la fin de l’année. Décision des tutelles qui ont décidé de mettre en place un nouveau projet artistique pour le Ballet, orienté vers la jeunesse. Le bureau de l’Association des Centres Chorégraphiques Nationaux vient d’écrire à Françoise Nyssen pour s’inquiéter du devenir du ballet de Marseille et de ses 21 danseurs. Un courrier que nous reproduisons dans son intégralité.
Le Ballet de Marseille est né en 1972 sous l’impulsion du maire de l’époque, Gaston Deferre qui propose au chorégraphe Roland Petit d’y installer sa compagnie. Roland Petit ancre le ballet dans l’ère moderne avec notamment la création d’un ballet mythique avec le groupe Pink Floyd. Il travaille ensuite avec de grands noms du monde artistique: Yves Saint Laurent, Mikhaïl Barychnikov, les peintres Keith Haring ou David Hockney… À partir de 1981, la compagnie devient le Ballet National de Marseille. Après le départ de Roland Petit, le Ballet est dirigé successivement par Marie-Claude Pietragalla (1998-2004), Frédéric Flamand (2004-2014) et depuis septembre 2014 par Emio Greco et Pieter C. Scholten. Ils ne feront qu’un mandat, décision des partenaires institutionnels. L’annonce en a été faite dans un communiqué. Le CCN/BNM va changer de forme. « Ce projet sera orienté vers la jeunesse pour s’ancrer dans la réalité d’un territoire dynamique. Il constitue une évolution significative depuis la création du BNM et tient compte des évolutions nombreuses du paysage chorégraphique de ce territoire, auquel il entend apporter une réponse adaptée et innovante » et un appel à candidature pour une nouvelle direction du CCN-BNM sera rendu public durant l’été pour une mise en œuvre opérationnelle en 2019.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Madame la Ministre,
Par un communiqué de presse du 18 mai 2018, nous avons non seulement officiellement pris acte qu’Emio Greco et Pieter C. Scholten ne seraient pas reconduits à la direction du Ballet National de Marseille (BNM) après leur premier mandat, mais également appris la transformation du CCN en «un nouveau projet artistique et culturel, pilote et expérimental au niveau national, qui proposera une forme nouvelle de CCN qui sera orienté vers la jeunesse ».Au nom de l’ensemble du réseau des Centres chorégraphiques nationaux, nous nous permettons de vous adresser ce courrier pour vous faire part de notre stupéfaction face à la succession de ces annonces et la rapidité avec laquelle a été décidé le devenir de cette structure.
Nous voulons tout d’abord vous assurer de l’attention que nous comptons porter à l’accompagnement de la sortie de la direction encore en poste, dans l’esprit des récents textes émanant du Ministère de la Culture, et notamment de la circulaire en date du 15 janvier 2018.
Nous prêtons évidemment la même attention au devenir de l’ensemble de l’équipe du BNM. A ce titre, nous ne pouvons cacher notre préoccupation face à la disparition annoncée, dans le cadre du nouveau projet, d’un effectif permanent et conséquent de 21 danseurs, mettant ainsi fin à une histoire de près de cinquante ans. Il convient à ce sujet de rappeler que le BNM a déjà connu une réduction d’effectif conséquente puisqu’il comptait encore dans les années 90 une quarantaine de danseurs.
S’il peut sembler étonnant à certains observateurs que le sud-est de la France comporte plusieurs ballets sur son territoire, nous tenons à vous rappeler que ceux-ci sont loin d’être nombreux en France.
Aujourd’hui au nombre de 12 – aux effectifs d’ailleurs très divers, dont 5 CCN –, ils sont régulièrement fragilisés par les acteurs de la politique culturelle.
Pour autant, les ballets sont essentiels à plus d’un titre. Ils sont porteurs d’un répertoire d’une grande richesse d’écritures chorégraphiques, alliant dimension historique et créations contemporaines d’envergure. Ils rencontrent une grande adhésion des publics, que ce soit en France ou à l’étranger et contribuent ainsi grandement au rayonnement chorégraphique de la France.Du point de vue de l’emploi, ce sont les seules structures qui proposent de nombreux postes permanents à des danseur.euse.s. Elles ont d’ailleurs un rôle majeur dans l’insertion des danseur.euse.s issu.e.s des formations supérieures. La présence au sein même du bâtiment du BNM de l’Ecole Nationale Supérieure de Danse de Marseille ainsi que la mise en place de la cellule d’insertion à travers le BNM Next prouvent toute la pertinence de cette question à Marseille.
Si nous avons conscience que le BNM a pu connaître ces dernières années des périodes difficiles, la confiance que nous portons en l’outil CCN nous assure que, sous la forme qu’il a toujours connu, il a encore de belles heures devant lui.
Que ce soit sous la forme d’un ballet d’auteur ou celle d’un ballet de répertoire, il nous semble absolument indispensable que cette structure fondée par Roland Petit et Gaston Defferre en 1972 puisse poursuivre son activité, avec des changements sans doute nécessaires, mais sans impact.
Nous ne pourrions entendre que les moyens financiers du BNM soient redistribués auprès d’autres structures défendant l’art chorégraphiques. Nous reconnaissons évidemment les moyens nécessaires à ces autres structures, mais refusons l’affaiblissement des moyens d’un CCN pour venir pallier les manquements de l’Etat et des collectivités territoriales.
Nous ne remettons nullement en question la nécessité de repenser le projet d’un CCN pour l’adapter à « une nouvelle réalité territoriale » mais ce qui est aujourd’hui annoncé nous paraît en complète contradiction avec l’essence et l’histoire du BNM.
Nous connaissons l’importance qu’a le Ballet National de Marseille dans la présence de la danse sur les territoires de la ville de Marseille, de la métropole, de la région et même au-delà. Nous savons que le public se montre fidèle et curieux des propositions qui peuvent leur être offertes par ce CCN. Il paraît donc étrange de vouloir tout à coup repenser drastiquement son identité. Contrairement à ce qui est déclaré, sa disparition en tant que tel constituerait un appauvrissement sans précédent du paysage chorégraphique à toutes les échelles.
Nous ne cherchons nullement à minimiser les soucis qu’a pu traverser le BNM depuis le départ de Roland Petit. Pour cette raison, nous pensons nécessaire, avant d’envisager quoi que ce soit pour l’avenir de la structure, qu’un temps conséquent soit pris pour résoudre les questions qui se posent de façon résiduelle depuis plusieurs années. Le cas du CCN – Ballet de Lorraine et de la mission accomplie par Françoise Adret en 1999 avant la nomination de Didier Deschamps, nous semble exemplaire des bienfaits qu’un temps de réflexion et de restructuration peuvent apporter
dans ce type de situation.La « solution » imaginée par les partenaires institutionnels du BNM nous paraît, au contraire, empreinte d’une précipitation inconsidérée.
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à notre courrier, nous restons à votre disposition pour tout échange et nous vous prions de croire, Madame la Ministre, en l’expression de notre haute considération,
Pour l’ACCN
Maud le Pladec / Co-présidente
Alban Richard / Co-président
Solenne Racapé / Vice-présidente
Grégory Cauvin / Secrétaire
Yves Kordian / Trésorier
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