Au Théâtre Gérard Philipe, Anne Barbot joue et met en scène Le Baiser comme une première chute, une âpre et haletante adaptation scénique de L’Assommoir de Zola centrée sur l’intimité du couple déliquescent que forment Gervaise et Coupeau jusqu’à l’anéantissement.
En se saisissant du 7e tome de la saga des Rougon-Macquart et en le portant au théâtre, la metteuse en scène peint le portrait bouleversant d’un milieu humble et populaire cher à Zola qu’elle extrait de son appartenance à une époque particulière pour mieux le faire entrer en résonance avec le monde actuel, et ainsi mieux concerner le spectateur mis face aux inégalités, aux révoltes, aux espoirs, aux désillusions d’hier et d’aujourd’hui.
Au commencement du spectacle, à l’occasion d’un prologue étonnant, voici Gervaise qui se présente face à la salle encore éclairée. Abandonnée avec son enfant par Lantier dans le Paris froid et poisseux qu’elle n’aime guère, où elle se sent si seule après avoir lâchée sa ville et sa famille. Elle devise franchement et frontalement sur son sort et celui des femmes qui comme elle sont de condition modeste, demeurent méprisées et offensées par les hommes à ses yeux menteurs et sans cœur. Le public réagit, à sa guise, il répond à l’apostrophe en approuvant ou discutant les affirmations du personnage. Une voix s’élève, un spectateur semble saisir le moment pour la consoler et la complimenter, éventuellement la séduire. Elle finit par se laisser charmer. Quand celui-ci insiste pour lui venir en aide et quitte sa place pour regagner la scène, on comprend qu’il s’agit d’un comédien, Benoît Dallongeville. L’interprète de Coupeau fait en ni une ni deux sa déclaration et sa demande en mariage.
Après quelques brefs temps d’amour béat et enflammé, la relation se dégrade. L’ouvrier zingueur vient de trouver un travail mais, à la suite d’un accident, se trouve en longue période de convalescence. L’inactivité, la jalousie maladive, la pauvreté, et surtout l’alcoolisme dans lequel il plonge et se vautre conduisent au délitement de la passion et emportent Gervaise dans la chute de Coupeau.
C’est sans concession que le spectacle décrit la déchéance physique et morale de ses protagonistes. Il illustre âprement, fiévreusement, radicalement le destin de deux êtres qui luttent mais finissent par sombrer. L’adaptation met l’accent sur la dégradation, notamment par l’assombrissement progressif du plateau. Le geste adopté ne cherche jamais à édulcorer, minimiser la force du propos. La scénographie fait pénétrer dans la sphère privée du couple : un intérieur au mobilier simple, une table chichement apprêtée, quelques chaises, deux lits ou plutôt juste des matelas symboliquement posés sur des caissons de bouteilles de vin. Tout finira détruit, saccagé sous une lumière blafarde.
Anne Barbot joue elle-même Gervaise, une figure courageuse et combative, habitée d’ambition et de conviction face à un Coupeau terrible et pathétique dans son désœuvrement. S’invite, au cœur des déchirements, leur fille Nana pleine de lucidité révoltée (Minouche Nihn Briot). Impressionnant d’engagement physique et emotionnel, les comédiens électrisent la sauvagerie du drame avec un jeu empreint de bestialité.
Le spectacle monte en puissance à mesure que les personnages progressent dans leur descente aux enfers. Il met à nu la dureté et la détresse humaines au point d’inspirer un profond sentiment de pitié et de terreur. Autant d’émotions fortes que le spectateur se prend de plein fouet.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Le baiser comme une première chute
TEXTE d’après « L’Assommoir » d’Émile ZOLA
ADAPTATION Anne BARBOT
ET Agathe PEYRARDMISE EN SCÈNE Anne BARBOT
DRAMATURGIE Agathe PEYRARD
COLLABORATION ARTISTIQUE Lionel GONZALESCRÉATION MUSICALE ET SONORE Anne-Lise BRIOT
SCÉNOGRAPHIE Camille DUCHEMIN
CRÉATION LUMIÈRE Félix BATAILLOU
CRÉATION COSTUMES Clara BAILLY et Gabrielle MARTY
DISTRIBUTION Anne BARBOT, Anne-Lise BRIOT ET Benoît DALLONGEVILLEPRODUCTION
NAR6 – conventionnée par le CD94 et en Permanence Artistique et Culturelle en Région IDF
Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis
Théâtre Romain Rolland, scène conventionnée de Villejuif et du Val de Bièvre
EMC91 de Saint Michel-sur-Orge
Fontenay-en-Scènes de Fontenay-sous-bois
Théâtre Jacques Carat de Cachan
La Grange Dîmière de Fresnes.
SOUTIENS
Ministère de la Culture (DRAC Île-de-France)
Théâtre des Quartiers d’Ivry – Centre Dramatique National du Val-de-MarneDurée : 2h
du 1er au 16 décembre 2021
au Théâtre Gérard Philipe
CDN de Saint-Denis (93)les 31 mars 1er et 2 avril 2022
à Fontenay-en-Scènesdu 22 au 26 mars 2022
au Théâtre Romain Rolland
Villejuif (94)les 7, 8 et 9 mai 2022
au NEST CDN transfrontalier de Thionville – Grand Est (57)
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