Pour son « Singulis », Laurent Natrella a choisi d’adapter « Chagrin d’école ». Seul sur le plateau du Studio de la Comédie-Française, le comédien anime une classe fictive avec la malice pédagogique de l’essai autobiographique de Daniel Pennac.
« Il faut savoir jouer avec le savoir. » En une phrase, Laurent Natrella résume la substantifique moelle du « Chagrin d’école » de Daniel Pennac, de cette pédagogie hors des sentiers battus qui redonne du sens à l’apprentissage et une âme à l’école. Enseignant à Sciences-Po, le comédien s’est immédiatement reconnu dans la figure professorale dépeinte par l’écrivain ; ancien « gentil cancre », il s’est identifié à ces élèves en difficulté pour qui l’école est synonyme de calvaire et non de plaisir. Construit à partir de cet essai autobiographique, son seul-en-scène regorge d’une touchante malice, celle d’un professeur qui n’a pas oublié l’étudiant qu’il a été.
Derrière des concepts traditionnels – la dictée, l’emploi du temps, le par cœur, les notes – déclinés comme autant de chapitres, se cache un sens de l’éducation qui n’a rien à voir avec l’instruction du hussard noir de la IIIe République. Aux élèves fantômes qui lui font face, de la sixième à la terminale, le professeur de français ne cherche pas à bourrer le crâne avec des règles d’orthographe et de grammaire assénées ex nihilo. Sans se départir de la rigueur nécessaire, il veut avant tout leur transmettre l’amour de la langue et des textes, dont il se sert comme vecteurs pour les accompagner vers le meilleur. L’enseignant tisse une complicité fertile avec ses étudiants, savant mélange de respect, de plaisir et de gentilles moqueries. Il fait corriger les copies des premières par les quatrièmes, leur fait toucher du doigt le raisonnement de Rousseau grâce à une récitation, comprendre l’art de la dissertation en leur demandant de rédiger eux-mêmes un sujet.
Avec un bureau, quelques chaises et un tas de Carambars, c’est bien toute une classe que Laurent Natrella parvient à faire émerger. Derrière ses lunettes rondes toutes professorales, le comédien n’a pas besoin de forcer son talent pour endosser un rôle qui, pour lui, ressemble à une seconde peau. De son ton naturel, il s’amuse avec la langue de Pennac, joue avec ses concepts, jongle avec ses anecdotes. Les élèves n’ont beau exister que par leurs voix enregistrées, leurs images se reflètent dans le regard espiègle de Natrella qui réussit, presque, à leur donner corps.
Simples, ses mise en scène et adaptation sont suffisamment rusées pour tirer les ficelles de cette pédagogie à la Pennac, celle d’un professeur qui n’est pas une figure tutélaire mais un révélateur du potentiel, voire du monde intérieur, de chacun de ses élèves. Loin d’être plongée dans le formol d’une image d’Epinal, l’école révèle alors toute sa magie et sa complexité dans l’apprentissage du « qui » avant celui du « quoi ». Gageons que l’effet miroir d’un tel spectacle sera puissant pour les membres de la communauté éducative, mais il le sera tout autant pour cette cohorte d’anciens élèves qui ont toujours voulu découvrir les rouages cachés derrière le tableau noir.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Chagrin d’école d’après Daniel Pennac
Adaptation, conception et interprétation : Laurent Natrella
Adaptation et collaboration artistique : Christèle Wurmser
Lumières : Franck Walega
Son : Dominique Bataille
Durée 1h05
Studio de la Comédie-Française
Du 31 janvier au 18 février 2018
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