Fin février, Laurent Gutmann quittera la direction de l’ENSATT pour reprendre son activité de metteur en scène. En attendant la nomination imminente de son·sa successeur·ice, il revient sur ses cinq années passées à l’école et évoque l’avenir.
Vous avez été nommé en 2018 pour 5 ans. Pourquoi quitter la direction de l’ENSATT maintenant sans rempiler pour un 2e mandat ?
Mon mandat de direction de 5 ans s’est terminé en août dernier. Je n’ai pas souhaité candidater à nouveau, d’une part pour des raisons personnelles car je trouve que dix ans c’était trop long sachant que j’ai envie de reprendre une activité artistique et, d’autre part, il me semblait que par rapport aux temporalités auxquelles est soumis l’ENSATT, cinq ans c’était un peu court. Donc j’ai demandé un aménagement spécial qui me permettait de faire un peu plus de six ans et le ministère de l’Enseignement supérieur, avec qui la relation a été assez idéale pendant toutes ces années, a été convaincu par mes arguments. Et donc je suis, depuis le mois d’août dernier, directeur par intérim. Normalement je quitte mon poste le 29 février.
Faire six ans m’amenait à cet été mais je trouvais que c’était bien d’arrêter maintenant car j’ai un projet de spectacle et aussi parce que ça permet à la personne qui arrive de contribuer au budget 2025, ce qui n’est pas le cas quand on prend ses fonctions à la rentrée, c’est trop tard. Et puis ça permet aussi de faire assez rapidement des jurys de concours. Je trouvais que c’était la bonne date et manifestement l’Etat aussi
Enfin, il y a aussi le rythme des accréditations. Comme tous les établissements d’enseignement supérieur et les universités, l’école est évaluée et on redépose un projet pédagogique diplômant. Ce gros travail, je l’ai fait en 2019-20 et le prochain va commencer en 2025. J’ai plein d’idées mais je ne me voyais pas repartir là-dessus. Là aussi, le fait que la passation se passe en mars 2024 est le bon moment pour que la personne qui me succède ait le temps un peu de voir de l’intérieur comment ça fonctionne et puisse élaborer un projet qu’elle défendra en 2026.
Chaque année, vous avez travaillé à faire des spectacles avec des étudiants. Néanmoins, vous avez envie de refaire « vos » spectacles
J’ai un grand besoin de légèreté, de retrouver le cœur de l’art. Je dis ça sans aucune aigreur. Je suis très heureux des années passées à l’ENSATT et du travail produit collectivement. Mais c’est un sacerdoce. C’est hyper prenant.
De quoi êtes-vous le plus fier parmi les actions que vous avez mis en place au cours de ces cinq années ?
Difficile de faire son propre bilan. L’enjeu que j’ai identifié assez vite était de faire de cette école une seule école. Comme vous le savez, on forme à dix métiers différents. C’est sa force mais c’est aussi le danger qui la menace. Chaque formation a ses logiques propres et il y a une logique centrifuge contre laquelle il faut tout le temps lutter car ça conduirait chaque formation, et pour des bonnes raisons, à travailler pour elle-même. Il faut que chacun·e ne perde pas de vue que le théâtre est un art collectif et que tout le monde a besoin de tout le monde en permanence. La difficulté est de placer le curseur au bon entre ce qui relève des enseignements propres mais néanmoins il faut qu’au maximum les étudiants des différentes formations soient amenés à travailler sur des projets, souvent des spectacles, montrés ou non au public. Il faut donc « dé-spécialiser ». C’est un mouvement de fond. C’est pour ça qu’on a par exemple complètement changé la formation à la mise en scène qui n’est maintenant ouverte qu’à des gens déjà entrés dans l’école. Ce n’est pas une spécialité en soi. Il s’agit de former des hommes et des femmes de théâtre qui ont une compétence en propre, ce qui ne les empêchera pas ensuite, au cours de leur vie professionnelle, de naviguer sans forcément renoncer à ce pour quoi ils ont été formés. Et, en même temps que ce travail de dé-spécialisation, ne rien lâcher sur la technicité de certains enseignements sans laquelle on reste dans une forme d’amateurisme.
Je ne sais pas si je dois être fier de quelque chose mais ça a été l’évolution essentielle de l’école : essayer de remettre le travail en commun au cœur de la pédagogie
Combien y’a-t-il de candidats, en fonction des départements, pour qu’il y ait 200 élèves à l’année ?
C’est en section jeu que la sélection est la plus raide car c’est un métier qui fait rêver et qu’on recrute au niveau bac, sans prérequis universitaires. Il y a entre 850 et 900 candidats par an pour 12 places. La formation en écriture dramatique est aussi très sélective. On l’ouvre que deux années sur trois. Il n’y a que 6 places pour 100 à 120 candidats. Ce sont aussi des ratios extrêmement faibles.
Quel est le budget de l’école ?
Il a une double composante. En 2007, Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur de Nicolas Sarkozy, impose l’autonomie aux universités et aux établissements supérieurs amenés à gérer leurs budgets intégralement et leur masse salariale. Autant c’était obligatoire pour les universités, autant ça ne l’était pas pour les établissements d’enseignement supérieur. L’ENSATT ne s’était pas saisi de cette possibilité donc il y a un double budget. Les personnels (artistiques, administratifs, pédagogique, technique) hors vacataires sont payée directement par l’Etat et il y a 2M€ de subventions pour « charge de service public », ça paye le reste (fonctionnement, investissement, vacation pédagogique). Ça fait 6M€ au total.
Vous concernant, quel est votre avenir ?
J’ai pris des risques en quittant ma compagnie qui était très bien aidée par l’Etat mais c’était délibéré. Je vais retrouver le vent du large avec que ça peut avoir d’excitant et d’inquiétant. Là aussi c’est un choix délibéré. Je ne sais pas encore selon quelles modalités j’exercerai mon art. Mais je vais le faire. Pour l’instant ma compagnie est aujourd’hui basée à Lyon, elle est en sommeil, je vais la réveiller. Elle n’est évidemment plus subventionnée par l’Etat et elle n’est pas près de l’être à nouveau car on nous demande une activité importante sur trois ans. Donc il me faudra au moins trois ans pour entrer dans une logique dans une logique de conventionnement.
Pourtant vous avez un projet imminent
Oui c’est au Pérou où j’ai été invité comme metteur en scène. Je ne me charge pas de la production. J’adapte le roman de Maupassant, « Une vie », en espagnol. Je pars en mars et la première est début mai à Lima
Propos recueillis par Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
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