« Je veux que Sur une île soit un tableau de notre obéissance, de notre docilité démocratique. La pièce exposera par les corps un fait divers du début du 21e siècle : le massacre d’Utøya où 69 personnes sont mortes sous les balles d’un chevalier croisé halluciné, le trentenaire Anders Behring Breivik, militant d’extrême droite inspiré par le concept de défense chrétienne contre l’extension de « l’Eurabia »*. Cet évènement pourrait bien sûr faire l’objet d’un regard de dédain : Breivik est fou. Ceci est une tragédie. Mais elle ne reflète pas la réalité de notre temps. Cette attitude de dédain, de disqualification fut largement celle des élites politiques de nos pays européens, lesquelles ont adressé leurs messages de compassions, de condoléances, aux familles des victimes de Breivik avant de revenir à leurs affaires courantes. Au contraire, Sur une île traite l’évènement comme il aurait du l’être : un fait emblématique de la situation politique en Europe au début du 21e siècle. Il s’agit là de s’emparer d’une réalité documentaire pour en faire un mythe obscur de notre temps : un mythe de l’obéissance où des forces de haine et de détestation sont réactivées, ici, en Europe, comme un signe d’une mise à mort de la « paix », de l’ordre européen issu de 1945. Breivik est le symptôme d’une Europe malade, tentée par de nouveaux fascismes. Le campement des jeunes du Parti travailliste est un rêve de paix, de communion, de tolérance, qui est celui d’un monde appelé à devenir une démocratie du nord, une illusion saisie par la logique du massacre. Il faut donc rendre à cet évènement sa puissance symbolique, en comprendre la noire mythologie, en explorer le sens et ce, dans le cadre d’un projet pour un « théâtre européen », un théâtre travaillant à donner corps à cet espace qui manque autrement de lien, de commun. Utøya vaut pour l’Europe et la pièce Sur une île doit être une pièce errante, voyageuse, pour les théâtres européens. C’est de cet évènement, Utøya, dont traitait déjà le chant de L’Inquiétude d’être au monde. (…) C’est cette fois par la voie du théâtre, en imprimant dans deux corps (un frère vivant et une sœur morte) le massacre d’Utøya, que je souhaite révéler l’ordre contemporain de l’Europe au début du 21e siècle : un ordre travesti, où petit à petit, les interdits sur la violence et la haine déclinent, où une soif de combat, d’héroïsme, de pureté renaît des cendres du vingtième siècle. Comment, après ce qui s’est passé au 20e siècle, peut-t- on revenir à ces mêmes logiques de classification, de triage ? Comment traiter ce retour éternel du thymos, de la colère, de la haine ? A l’issue des longues années de la paix européenne, que peut-t- on proposer aujourd’hui, comme horizon d’espérance, qui ne soit ni la servitude volontaire au marché, ni l’ennui de la post-histoire, ni la guerre de tous contre tous, dans une fiction hallucinée d’une guerre des civilisations ? La question au cœur de Sur une île est bien sûr celle de la violence : la violence de Breivik et la violence qui n’a pas eu lieu, que les enfants de l’île ont évacuée, faute de pouvoir même y penser : leur violence interdite, fruit de longues années de paix, leur violence collective, leur révolte, qui aurait pu, de façon organisée, coordonnée, se jeter sur Breivik, le désarmer et l’abattre.
Il y a donc cela, dans Sur une île, un désir d’inverser le mythe de l’obéissance à partir du théâtre : faire naître, par le théâtre, la possibilité d’un autre dénouement : non pas un énième monument, en Europe, pour commémorer les morts, mais un travestissement supérieur de la réalité (l’action théâtrale ?) pour révéler le travestissement où nous vivons. C’est le sens de cette question que la sœur morte pose à son frère : Mais que feras-tu de moi ? De mon souvenir ? » Note d’intention de Camille de Toledo, Septembre 2014
Sur une île
Conception
Christophe Bergon
Camille de Toledo
Texte
Camille de Toledo
Mise en scène, scénographie et lumière
Christophe Bergon
Avec
Laurent Cazanave
Mathilde Olivares
Collaboration artistique à la mise en scène et costumes
Manuela Agnesini
Dramaturgie
Enrico Clarelli
Environnement sonore et conseiller musical
Christophe Ruestch
Recherche iconographique
Eve Zheim
Stagiaire à la mise en scène
David Malan
Administration et diffusion
Suzanne Maugein
Production : lato sensu museum
Coproduction : TNT – Théâtre National de Toulouse Midi-Pyrénées ; théâtre Garonne – scène Européenne – Toulouse
Accueil en résidence : théâtre Garonne – scène Européenne – Toulouse ; TNT – Théâtre National de Toulouse Midi-Pyrénées
lato sensu museum bénéficie du soutien de la DGCA dans le cadre du dispositif de Compagnonnage d’auteur 2015.
lato sensu museum est subventionné au titre de l’aide au projet par la DRAC Midi-Pyrénées, le Conseil Régional de Midi-Pyrénées, le Conseil Général de la Haute-Garonne et la Ville de Toulouse.
Le texte est une commande d’écriture de la compagnie.
Spectacle accueilli par le théâtre Garonne et le TNTTNT de Toulouse
Du 21 au 29 janvier 2015
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