A La Chartreuse de Villeneuve-Les-Avignon, Laëtitia Guédon s’empare de Penthésilé·e·s/Amazonomachie de Marie Dilasser et orchestre un oratorio pour les temps nouveaux, où la comédienne Lorry Hardel s’impose en patronne de la scène.
Pour aborder le mythe de Penthésilée, Laëtitia Guédon aurait pu se contenter d’adapter le fameux drame de Kleist. Mais, nourrie, depuis plusieurs années, par sa confrontation avec les écritures d’auteurs vivants, tels Koffi Kwahulé ou Kévin Keiss, la metteuse en scène a préféré passer commande d’un nouveau texte à Marie Dilasser. Bien lui en a pris tant la pièce proposée par la jeune, et talentueuse, autrice semble définitivement plus arrimée à notre temps, et aux mouvements de sa tectonique sociétale, que celle, un rien datée, du dramaturge allemand. Car, et c’est là sa clé de voûte, Penthésilé·e·s/Amazonomachie n’est pas le simple récit d’une histoire mythique, mais bien un manifeste pour les générations futures qui, au lieu de toujours se tourner vers le passé, se projette, et nous projette, vers l’avenir.
Dans cette variation, la reine des Amazones n’est d’ailleurs pas un monolithe puissant, unique et indivisible, mais, comme l’indique le titre de la pièce en écriture inclusive, une figure à visage humain, démultipliée et dégenrée. Sur le plateau de La Chartreuse de Villeneuve-Lez-Avignon, ils sont deux comédiennes et un comédien à l’incarner, deux femmes et un homme, une actrice, une performeuse vocale et un danseur, comme pour opérer, grâce à la belle pluralité de ce collectif, une tentative de réconciliation entre les genres et les arts. Surtout, il est moins question pour Marie Dilasser et Laëtitia Guédon d’analyser le rapport de Penthésilée à Achille et, à travers lui, à la loi d’airain contre laquelle elle se révolte que d’interroger les liens qu’elle entretient, en tant que leader d’un groupe de femmes, au pouvoir et à la puissance. Façon de lui redonner son indépendance et de lui offrir une occasion de prendre sa revanche.
Dans une atmosphère de hammam, conçue au millimètre par Charles Chauvet et élégamment éclairée par Léa Maris, le spectacle monte très progressivement, sans doute un peu trop progressivement, en puissance. D’abord un brin surchargé dans sa manière de vouloir tout embrasser, d’empiler les couches textuelles, vidéos et vocales, mais aussi quelque peu aride dans son démarrage fondé sur le chant de gorge inuit qui, s’il crée l’étrangeté, s’avère moins agréable à écouter que le choeur de femmes final, il se fait beaucoup plus percutant dans sa troisième et dernière partie en forme d’oratorio pour les temps nouveaux. Au rythme de chants sacrés, empruntés notamment à Mozart et Haendel et joliment interprétés par Sonia Bonny, Juliette Boudet, Mathilde de Carné et Lucile Pouthier, le texte de Marie Dilasser peut y éclater au grand jour, et faire montre de son acuité et de son ampleur, dans sa manière de tracer des perspectives d’union entre les genres et de faire de la reine des Amazones l’égérie, la porte-voix et la fer de lance d’un combat mené au nom de l’ensemble des femmes.
A cette occasion, la direction d’acteurs de Laëtitia Guédon irradie de justesse. Consciente que la langue de Marie Dilasser est déjà suffisamment aiguisée, elle impose une voie scénique empreinte de douceur, loin, très loin, de la fureur que d’aucuns pourrait lui surajouter. Le propos de l’autrice n’en est alors transmis qu’avec plus de clarté et plus de force. Il profite aussi de la performance de Lorry Hardel. Eblouissante de présence, étonnante de puissance, la jeune comédienne s’impose de bout en bout comme la patronne de la scène et l’inébranlable pilier de ce trio penthésiléen. A ses côtés, Marie-Pascale Dubé et Seydou Boro paraissent plus effacés, mais non moins précis et incarnés lorsque les lumières sont braquées sur eux. Ainsi démultipliée, Penthésilée n’a sans doute jamais paru, paradoxalement, aussi unique.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Penthésilé·e·s/Amazonomachie
Texte Marie Dilasser
Conception et mise en scène Laëtitia Guédon
Avec Seydou Boro, Marie-Pascale Dubé, Lorry Hardel, et Sonia Bonny, Juliette Boudet, Mathilde de Carné, Lucile Pouthier (chœur)
Musique et son Jérôme Castel, Grégoire Letouvet, Nikola Takov
Lumière Léa Maris
Scénographie Charles Chauvet
Vidéo Benoît Lahoz
Costumes Charles Chauvet, Charlotte Coffinet
Assistant à la mise en scène Quentin AmiotProduction Compagnie 0,10
Coproduction Festival d’Avignon, Comédie de Caen – Centre Dramatique National de Normandie, Théâtre des Îlets – Centre Dramatique National de Montluçon, Tropiques Atrium – Scène nationale de Martinique, L’Artchipel – Scène nationale de la Guadeloupe
Avec le soutien des Plateaux Sauvages, de la Drac Île-de-France, de la Région Île-de-France
Avec l’aide du Centquatre-Paris
Co-accueil Festival d’Avignon, La Chartreuse-CNES de Villeneuve lez AvignonDurée : 1h40
Festival d’Avignon 2021
La Chartreuse – CNES de Villeneuve lez Avignon
du 6 au 13 juilletThéâtre des Îlets – CDN de Montluçon
les 17 et 18 novembreComédie de Colmar
les 24 et 25 novembreCDN de Normandie – Rouen
du 30 novembre au 2 décembreMAC – Maison des Arts et de la Culture, Créteil
du 14 au 16 décembreLa Faïencerie – Théâtre de Creil
le 13 janvier 2022Tropiques Atrium, Fort-de-France
les 28 et 29 janvierL’Artchipel, Basse-Terre
les 4 et 5 févrierThéâtre de la Tempête, Paris
du 6 au 22 mai
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !