Avec L’Absence de père, adaptation de Platonov de Tchekhov créée aux Nuits de Fourvière, Lorraine de Sagazan ajoute un nouveau chapitre à son laboratoire théâtral de l’intime. Moins aiguisé hélas que les précédents.
De spectacle en spectacle, la maison de Lorraine de Sagazan s’agrandit. Dans Démons (2015), première création de sa compagnie La Brèche, c’est à l’intérieur d’une esquisse de salon où trônait un fauteuil léopard avachi, dans un dispositif bifrontal, que Lucrèce Carmignac et Antonin Meyer-Esquerré s’emparaient librement des cruautés du couple de Lars Norén. Un an plus tard, son adaptation d’Une maison de poupée d’Ibsen se déployait au milieu d’un plateau en tri-frontal, divisé en deux espaces aménagés de manière très réaliste. En un salon, avec une grande table centrale, et en une entrée de cuisine. Le plateau en quadrifrontal de L’Absence de père, avec d’un côté sa table dressée pour le dîner, plus loin un lit et ailleurs encore quelques canapés et tables basses, ne surprend donc guère. Il est en cela à l’image du spectacle, où le foyer est l’épicentre d’une crise qui manque de trouble, de surprises.
Comme Une maison de poupée, L’Absence de père est une pièce de retrouvailles. Les comédiens des pièces précédentes sont tous au rendez-vous. À commencer par Lucrèce Carmignac, qui met son art du rire comme masque de la douleur au service du personnage de la veuve Anna Petrovna, et Antonin Meyer-Esquerré dont la fougue devient celle du protagoniste central. Un prénommé Michel, qui est un Platonov d’aujourd’hui. Un « petit Platon » bien actuel. Un penseur qui « vient provoquer un doute chez les uns et chez les autres », un « questionnement insupportable pour les gens de son entourage qui sont un peu figés dans leurs certitudes, (…) assumant une médiocrité justifiée parfois par une pensée intellectuelle », dit Lorraine de Sagazan dans le livret qui fait office de feuille de salle. Sont aussi présents Romain Cottard, dont le riche Paul a été conçu à partir de plusieurs personnages de la pièce de Tchekhov, ainsi que Benjamin Tholozan.
Quatre nouveaux comédiens – Charlie Fabert, Nina Meurisse, Chloé Oliveres et Mathieu Perotto – rejoignent la famille d’Une maison de poupée. Ils en adoptent les codes. Comme les autres, ils mêlent de petits récits de leur vie personnelle à l’adaptation de la foisonnante pièce de jeunesse de Tchekhov. Entre les scènes collectives, ils livrent des bribes d’histoires plus personnelles, dont la plupart concernent leurs pères. Des pères en général peu présents, peu doués pour la transmission. Comme celui de Platonov, dont ce dernier dresse dans le premier acte de la pièce éponyme un portrait peu flatteur. Les huit interprètes de L’Absence de père forment ainsi un ensemble très homogène. Alors que parmi les conflits, les incompréhensions que soulève le héros provocateur de Tchekhov entre ses amis et ses amours, la différence de richesses et de croyances est centrale.
Très marquée et sensible dans les créations précédentes de Lorraine de Sagazan, la quête d’un rapport singulier, intime, avec le public est aussi moins présente dans L’Absence de père. Comme si le dispositif quadrifrontal résolvait à lui seul le problème. Or les adresses régulières au public ne suffisent pas à faire de celui-ci un véritable témoin ou juge du comportement des huit individus qui se livrent pourtant devant son nez à bien des bassesses. Les excès de larmes et de cris de certains comédiens n’arrangent pas la situation. Le registre de l’intime est séduisant, mais il a ses risques et ses limites : il faut parfois savoir s’en éloigner, se frotter à d’autres types de récits et de langages, pour mieux y revenir.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
L’Absence de père
Librement adapté de le pièce Platonov d’Anton Tchekhov
Conception et mise en scène : Lorraine de Sagazan
Adaptation : Lorraine de Sagazan et Guillaume PoixAvec : Lucrèce Carmignac, Romain Cottard, Charlie Fabert, Nina Meurisse, Antonin Meyer-Esquerré, Chloé Oliveres, Mathieu Perotto, Benjamin Tholozan
Lumières : Claire Gondrexon
Création sonore : Lucas Lelièvre
Régie générale : Kourou
Espace scénographique : Marc Lainé assisté de Anouk Maugein
Costumes : Suzanne Devaux
Production et diffusion : Carole Willemot / AlterMachine
Administration : Laure Meilhac / AlterMachine
Construction décor : Ateliers de la MC93
Production : La Brèche
Coproduction : Les Nuits de Fourvière, CDN de Normandie-Rouen, Théâtre Dijon Bourgogne – CDN, Le Phénix – Scène nationale de Valenciennes, TU-Nantes, Théâtre de Châtillon, MC93 – Maison de la culture de Seine-Saint-Denis
Résidences de création au CDN de Normandie-Rouen, Théâtre de la Bastille – Paris, TU-Nantes, MC93 – Bobigny et Nuits de Fourvière – Lyon
Avec l’aide de la région Ile-de-France et de la SPEDIDAM.
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National.Durée : 2h30
Théâtre Dijon Bourgogne
Jeudi 27 Mai 2021 – 18:30
Vendredi 28 Mai 2021 – 18:30
Samedi 29 Mai 2021 – 17:00
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