Au Théâtre de La Commune d’Aubervilliers, Michel Cerda met en scène La Source des Saints, une cruelle parabole paysanne, profondément humaine et excellemment jouée.
Alors que la salle et la scène sont longuement plongées dans le noir et le silence complets, deux silhouettes sombres, hagardes et émaciées s’avancent à petits pas réguliers. Elles s’aventurent, piétinent, trébuchent pour s’échouer sur le plateau nu baigné d’une lumière irradiante qui se réfléchit sur la froidure métallique du sol. Au croisement des chemins mendie le couple misérable et aveugle.
Quelques gouttes d’une eau trouvant sa source à une fontaine miraculeuse pourrait leur faire recouvrer la vue. Elle est détenue par un Saint nouvellement arrivé au village. L’intrigant guérisseur apparaît sous les traits d’Arthur Verret à la fois ermite somnambule et fou pasolinien, dans sa longue camisole blanche.
Lorsque Martin se remet à voir, il se comporte comme un enfant hébété qui exhibe ses fesses nues et ne tient plus sur ses jambes. Il court les jupons et fait du gringue à la jolie fermière déjà promise au rustique forgeron. Il hurle sans raison, ivre et effrayé de ces nouvelles formes et couleurs qui s’offrent à son regard. A la promesse inespérée d’enfin accéder aux beautés du monde répondent la découverte de sa propre laideur, ainsi que celle de sa pauvre femme toute rabougrie, qu’il va insulter et quitter, puis la révélation de la dureté de la vie et des hommes sans pitié pour les malheureux. Il préfère retourner à l’état de cécité et renoncer au renouveau.
Dépouillée de tout folklorisme nordique, la pièce prend une dimension quasi mythique dans la belle et lumineuse mise en scène qu’en fait Michel Cerda, extrêmement simple et si profonde. Anne Alvaro joue une Mary douloureusement digne, Yann Boudaud emmène Martin à la lisière de la folie. Ils sont d’abord deux voix, d’une singulière musicalité, hypermélodieuses et aux accents grinçants. On dirait qu’ils chantent le texte, rendent plus étrange encore cette langue pittoresque et primitive traduite par Noëlle Renaude, mais sans rien perdre de sa dimension très concrète tant elle est traversée de tout leur corps dans de lents mouvements. Ils restituent la poésie, l’humour, l’âpreté et la force de cette terrible tragédie humaine.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
La Source des Saints
de John Millington Synge mis en scène par Michel Cerda
avec Anne Alvaro, Yann Boudaud, Chloé Chevalier, Christophe Vandevelde, Arthur Verret et la participation de Silvia Circu
scénographie Olivier Brichet
lumière Marie-Christine Soma, assistée de Diane Guérin
costumes Olga Karpinsky
collaboration artistique Charles Dubois, bruiteur
assistanat à la mise en scène Sylvia Circu
production Sophie-Danièle Godo
production déléguée Compagnie Le Vardaman coproduction Studio Théâtre de Vitry et le Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine avec le soutien à la création du Ministère de la Culture Drac Ile-de-France, d’ARCADI Ile de France, de la SPEDIDAM et la participation artistique du Jeune Théâtre National
durée 2h15T2G Gennevilliers
10-14 janvier 2019
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