Avec La Mort grandiose des marionnettes, variations, la compagnie canadienne de The Old Trout Puppet Workshop livre un réjouissant jeu de massacres marionnettique.
Un castelet. Un castelet qui, quoique massif, semble tout ce qu’il y a de plus classique, avec ses tentures rayées sur les côtés, sa scène centrale, ses couleurs rouge et or et son fronton ornementé. Dans cette scénographie renvoyant à toute une tradition du théâtre de marionnettes, l’équipe de The Old Trout Puppet Workshop va s’atteler à la mise à mort méthodique de ses personnages. Construit selon une succession de saynètes, La Mort grandiose des marionnettes, variations (spectacle créé en 2006 et depuis régulièrement repris) se solde, en effet, pour la quasi totalité d’entre elles par une, voire plusieurs disparitions. Il y a les trépas accidentels, ceux prémédités et ceux, encore, naturels. Il y a les morts qui pourraient être liées à un accident domestique, celles résultant de comportements dangereux ou celles relevant de l’irruption du fantastique. De loin en loin, des éléments (une feuille morte rappelant, qui sait, la fin de toute chose en notre bas monde) comme des personnages reviennent, dont un vieillard, Nathaniel Tweak, qui, officiant tel un maître de cérémonie, terminera comme tous ses comparses.
L’idée de « variations » évoquée dans l’intitulé s’incarne dans plusieurs éléments. Outre les divers types de marionnettes utilisées par les trois comédiennes-manipulatrices (marionnettes à tringle, marionnettes à prise directe, etc.), outre un usage de tous les possibles de l’aire de jeu – les séquences pouvant se dérouler sur la scène du castelet comme à l’avant-scène du plateau ou sur les côtés, outre des changements d’échelle, les variations se trouvent également dans l’écriture et dans les registres abordés. L’on passe ainsi d’un mode satirique de dévorations sanguinolentes à l’écrasement d’un personnage par un poing vengeur.
Ainsi décrit, cela pourrait sembler morbide. Il n’en est rien et ce spectacle se révèle aussi férocement drôle que touchant. Face à ces marionnettes qui, quoique différentes, sont toutes caractérisées par un aspect assez monstrueux, ou à tout le moins repoussant, le rire naît de la cruauté des histoires et de l’étirement de certaines situations. Mais l’on ressent aussi d’autres émotions : effroi, surprise, crispation. Citons, par exemple, l’une des plus belles séquences du spectacle où l’une des interprètes apporte un grand livre. En ouvrant cet ouvrage joliment fait, elle nous révèle, sous forme de peinture en pop-up, une maison. Chaque page tournée nous rapproche un peu plus de ce logis représenté dans des tons pastels. Sauf que la douceur de l’illustration et la belle facture de l’ensemble révèlent un hors-champ terrible et glaçant : alors qu’elle s’apprête à toquer à la porte, la comédienne suspend son geste tandis que résonnent des cris – ceux d’une dispute violente et de coups – se déroulant dans la maison.
L’on saisit dans cette scène ce qui caractérise l’ensemble de ce spectacle : une manière de pousser chaque histoire dans ses retranchements et de la clore sur un retournement perpétuel de situation (et, donc, des émotions). Interprété avec une maîtrise impeccable par les trois interprètes – qui non contentes d’être manipulatrices se révèlent aussi d’impeccables comédiennes – La Mort grandiose des marionnettes, variations séduit par son écriture enlevée, son art du récit court, sa capacité à nous balader d’un univers à l’autre et son goût pour la cruauté. Si une ou deux séquences se révèlent un peu en deçà des autres – mais c’est le jeu d’une telle écriture –, le spectacle passionne également par son jeu avec la discipline marionnettique. La marionnette, objet inerte auquel le manipulateur donne habituellement vie, ne cesse ici de cheminer vers la mort. Avec un art consommé de l’humour noir, le trio en scène nous transmet la puissance de ce geste paradoxal.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
La Mort grandiose des marionnettes, variations
de The Old Trout Puppet Workshop
Mise en scène Peter Balkwill, Pityu Kenderes, Judd Palmer
Avec Louisa Ashton, Aya Nakamura, Teele Uustani
Costumes Jen Gareau
Musique Mike Rinaldi
Lumière Amelia NewbertDurée : 1h05
Festival Off d’Avignon 2022
Théâtre Girasole
du 7 au 28 juillet, à 10h25
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