Dans sa Leçon de français, l’auteur et conteur-acteur Pépito Matéo nous donne un cours de désapprentissage des manières courantes d’utiliser la langue française. Excellent pédagogue de classe buissonnière, il donne à voir les aventures qui font de la parole un espace où se conquiert la liberté.
La parole, pour Pépito Matéo, est un fleuve intranquille. Elle ne doit pas se coucher dans un seul lit, mais rester debout dans plusieurs à la fois, prête toujours à bondir de l’un à l’autre, et même à se sauver complètement si le cœur lui en dit. Car oui, cette parole vagabonde, prompte à la digression, a un cœur et une âme que le conteur aime à sonder, à explorer sous un angle différent dans chaque spectacle. Et ce depuis trente ans, plus ou moins. Le nouveau, La leçon de français, place ce rapport passionnel à la langue au centre d’un récit aux ramifications multiples. La pseudo-conférence que prétend donner l’acteur-conteur – il se définit ainsi – en début de spectacle ne tient pas en effet une minute. À peine posé le cadre d’une sorte de cours, celui-ci disparaît dans la bouche même du professeur qui se présente comme Pépito Matéo lui-même, fils d’un Espagnol et d’une Champenoise dont il apprend très vite que « ce sont les bâches qui donnent le lait et qu’il faut manger du veuf pour grandir et se donner du cœur à la langue ». S’il y a fiction dans ce spectacle, c’est mélangée avec une bonne dose d’autobiographie.
Pour décrire la relation complexe, toujours changeante, qu’il entretient avec son outil principal de création, Pépito Matéo puise autant dans sa propre histoire que dans celle de personnes croisées sur son chemin : en particulier des exilés de partout, réunis ici par la force du conte que l’artiste au verbe curieux de tout pratique d’une manière bien peu conventionnelle. Pour faire plus ou moins tenir ensemble tous ses récits – il reste toujours du jeu entre les nombreux témoignages récoltés ici et plus loin, les anecdotes « à pas piquer des hannetons » ou encore analyses peu scientifiques de faits linguistiques à n’en pas croire nos oreilles qui composent le spectacle –, Pépito opte pour une trame tout bonnement incroyable. Tenez-vous bien, car c’est à toute allure que sur un plateau presque vide, à l’exception de quelques chaises, le merveilleux parleur entame la narration de l’aventure qui justifie toutes les autres paroles qui viennent par la suite.
Voilà le bobard : tout commence par un malentendu, qui survient alors que Pépito Matéo donne un spectacle – là, première parenthèse pour nous faire remarquer que ‘’donner’’, c’est une expression : « on ne donne pas un spectacle, on le vend, et même assez cher » – dans une petite bourgade des Alpes. Skiant un jour de relâche comme à son habitude, c’est-à-dire selon lui avec l’élégance et l’habileté d’« une toupie dans une écuelle de crème fraîche », il se retrouve en Italie. Son air d’ailleurs le rend suspect aux yeux de la police locale qui, ni une ni deux, l’embarque pour le L.R.A, lieu de rétention administrative. Née d’une incompréhension langagière, cette situation initiale laisse la bouche du conteur ouverte à bien d’autres quiproquos qui ont souvent la même tonalité que le premier : s’ils prêtent à sourire, c’est rarement d’une manière entièrement légère, insoucieuse. Si elle est matière à jeux poétiques, la langue française est aussi pour Pépito Matéo un espace politique.
Lieu d’accueil de toutes les singularités, ouvert à toutes les inventions de ses nombreux locuteurs dispersés à travers le monde, le français est pour l’artiste un objet de permanente surprise, d’admiration qu’il sait comment nous faire partager. En faisant généreusement appel au répertoire d’histoires et d’expressions dont on sent qu’elles ont été glanées sur la durée, tout au long d’un parcours déjà long de baroudeur du verbe, Pépito Matéo fait preuve d’une gourmandise communicative. Lié dans cette très particulière Leçon de français à la découverte de l’Autre et de ses difficultés à manier une langue qui n’est pas la sienne, cet enthousiasme langagier souvent proche du trop-plein est un remède idéal contre la langue de bois et autres façons de mettre les mots au pas de pensées qui séparent. L’enseignement que nous délivre Pépito Matéo nous touche d’autant mieux qu’il s’offre sans forcer, sans faire preuve d’autorité. La langue, avec lui, n’est pas instrument de pouvoir mais de liberté.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
La leçon de français
De et par Pépito Matéo
Regard extérieur Nicolas Petisoff
Avec la complicité de Gwen Aduh, Mael Le Goff et Olivier Maurin
Création lumières Cécile Le Bourdonnec
Photos Loewen photographies
Durée : 1h15
Off 2022
Artéphile
du 07 au 16 juillet 2022
à 14h05
Relâches le mercredi
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