« La Hchouma », au-delà de la honte
Créé en 2019 et affichant plus de 300 représentations à son compteur, le spectacle de Yann Dacosta s’installe au Théâtre de La Reine Blanche. Une pièce minimale au propos direct.
« ‘Haram’, est-ce que vous savez ce que ça veut dire ? » Voilà l’une des premières phrases lancées par les deux comédiens de La Hchouma au public présent. L’on saisit par cette adresse introductive que ce spectacle, outre la proximité induite par la petite salle de La Reine Blanche, travaille au plus près le lien entre interprètes et spectateur·ices. Et qu’à l’intimité du propos que déplie le texte s’ajoute le sentiment d’intimité que la mise en scène, par son minimalisme, fait advenir. Avant d’être un spectacle, La Hchouma est un livre : écrit en 2009 par Brahim Naït-Balk et intitulé Un homo dans la cité, l’ouvrage retrace l’itinéraire de son auteur et son long cheminement pour vivre sereinement son homosexualité. Fils aîné d’une fratrie de sept enfants, né à Saint-Étienne en 1963 de parents marocains, puis ayant grandi dans différentes villes (de Montceau-les-Mines à Aulnay-sous-Bois) et majoritairement dans des cités, Brahim Naït-Balk raconte de façon chronologique sa vie. Il déplie l’homophobie intégrée – fondée sur une injonction à l’adhésion à des codes de masculinité hyperviriliste – et tout ce qu’il a enduré, ne se reconnaissant pas dans ces comportements aussi normatifs que violents. Il détaille les viols subis, la peur permanente, ainsi que, évidemment, « la hchouma », soit la honte – le mot signifiant également « modestie, pudeur et humilité ». Honte de lui, honte de déshonorer sa famille, honte de ne pas répondre aux attentes imposées par sa culture, sa famille, sa religion.
Ce récit à la première personne, au ton direct, sans fard, le metteur en scène Yann Dacosta l’adapte en distribuant la parole de Brahim Naït-Balk à deux comédiens, Majid Chikh-Miloud et Ahmed Kadri. Tous deux vêtus à l’identique – pantalon, t-shirt, baskets et veste de survêt noires – portent avec une même précision le témoignage. Incarnant chacun leur tour Brahim, en se passant la parole parfois par un lancé de ballon – le football étant central dans la vie de ce jeune ayant grandi en cité –, recourant uniquement à quelques photos et images qu’ils affichent au mur, jouant parfois un autre personnage – la mère de Brahim, Morad, l’agresseur du jeune homme –, le duo maîtrise largement sa partition. Leur jeu est aussi direct que l’écriture, jamais excessif, et certaines séquences – telle celle, aussi touchante que cocasse, du dialogue entre Brahim et sa mère au sujet d’une épouse – permettent aux comédiens d’affirmer toute leur amplitude de jeu.
Le spectacle tournant majoritairement dans des établissements scolaires depuis sa création en 2019 (et étant normalement suivi d’un échange), on aurait pu attendre, pour sa version en salle, de légers aménagements dans le montage du texte opéré. Citons la séquence finale qui, en étant une synthèse par Brahim lui-même de qui il est et de là où il en est, s’avère certes pertinente pour ouvrir à un dialogue avec des élèves, mais qui, dans une forme seulement spectaculaire, écrase, justement, le propos par sa volonté de résumer, et le maintient dans une démarche didactique et pédagogique. Pour autant, ce n’est pas la réserve majeure du spectacle – qui tient à une position de Brahim Naït-Balk et au choix de l’équipe de la conserver.
Évoquant la difficulté d’être gay dans une culture musulmane, abordant les relations sexuelles et l’hypocrisie quant à l’homosexualité dans cette culture (alors que les relations entre hommes existent), l’auteur évoque des jeunes qui l’ont agressé et harcelé. Des jeunes qui « sont nés en France, mais [que] leurs parents n’ont pas su éduquer. Ils ont fabriqué des petits voyous en colère qui ne savent rien faire d’eux-mêmes et qui prétendent me ‘rééduquer’ ! » Ce propos (ainsi que l’obsession de l’intégration) se donne comme un raccourci pour le moins problématique, en ce qu’il rabat les comportements violents sur la seule responsabilité parentale – en faisant fi de toutes les données politiques, sociales, et des dynamiques patriarcales. Par ailleurs, il prolonge une idée reçue, largement exploitée par la droite et l’extrême droite, qui rattache l’homophobie à la seule culture musulmane – alors que, des cortèges de la Manif’ pour tous aux révélations sur l’établissement privé Stanislas, l’homophobie est, on le voit, bien présente dans toutes les strates de la société.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
La Hchouma
d’après Un homo dans la cité de Brahim Naït-Balk (Calmann-Lévy)
Mise en scène Yann Dacosta
Avec Majid Chikh-Miloud, Ahmed Kadri
Collaboration artistique Morgane Eches
Avec la participation de Sébastien Tüller de la Commission OSIG Amnesty InternationalProduction Compagnie Le Chat Foin
Projet financé par Fondation Amnesty International France
Avec le soutien du Musée National de l’Histoire de l’ImmigrationLa Compagnie Le Chat Foin est conventionnée par le Ministère de la Culture / Drac Normandie, la Région Normandie et la Ville de Rouen.
Durée : 1h
Théâtre de la Reine Blanche, Paris
du 2 au 19 avril 2025Collège Daniel Fery, Limeil-Brévannes
le 12 maiLycée Jean Macé, Vitry-sur-Seine
le 13 maiCité Scolaire Valois-Rostand, Angoulême
le 27 mai
La piece est surtout l histoire vécue d un homosexuel dans un milieu populaire maghrébin de banlieue et son propos n est pas de traiter toutes les homophobies dans tous les milieux et a fin de la critique est me semble t il hors de propos. Nous a beaucoup aimé cette pièce et l histoire de quelqu’un est nécessaire pour tous les milieux et dénonce une réalité des milieux populaires sans pour autant exempter ce qui existe dans d’autres milieux