À La Seine Musicale, le réalisateur Mathieu Kassovitz entreprend d’adapter en comédie musicale son film culte, sorti il y a près de 30 ans, et réussit, pour l’essentiel, son ambitieux pari.
Avec la franchise qu’on lui connaît, et qui lui joue parfois des tours, Mathieu Kassovitz expose, d’emblée, ses intentions : son adaptation en comédie musicale de La Haine ne sera pas un vulgaire copier-coller nostalgique de son film sorti en 1995, mais bien une oeuvre politique en prise avec le monde d’aujourd’hui. Dès le générique, les images de manifestations, puis de violences policières, qui posaient le cadre de son long-métrage, au rythme du Burnin’ and Lootin’ de Bob Marley, paraissent refaire surface. Si ce n’est que, à y regarder de plus près, les références à Malik Oussekine, Makomé M’Bowolé et aux émeutes urbaines des années 1980-1990 ont disparu pour céder la place aux Gilets Jaunes, au collectif Justice pour Adama ou encore à George Floyd, avec, toujours, cette avalanche de coups de matraque et de corps traînés au sol par les CRS. Comme si, en trente ans, rien n’avait changé – ou peut-être en pire avec l’arrivée des LBD. En regard, la cité des Muguets de Chanteloup-les-Vignes, reconnaissable grâce à ses cinq fresques représentant les visages de Rimbaud, Baudelaire, Valéry, Nerval et Mallarmé, paraît presque paisible, et l’on prend un plaisir quasi ému à la voir réapparaître sous nos yeux par le truchement d’une création vidéo chiadée, façon jeu vidéo, qui permet à l’action de se déplacer de lieu en lieu.
Et c’est avec un même plaisir, tout aussi ému, que l’on ne tarde pas à voir ressurgir Saïd, puis Vinz, puis Hubert, le trio emblématique de La Haine, respectivement incarnés par Samy Belkessa, Alexander Ferrario et Alivor, qui ont la lourde charge de prendre la suite de Saïd Taghmaoui, Vincent Cassel et Hubert Koundé. Marqués par l’hospitalisation de leur ami Abdel, tombé dans le coma après avoir été victime d’une bavure policière, les trois jeunes hommes errent toujours dans la cité qui porte les stigmates de la nuit d’émeutes qu’elle vient de vivre. De la salle de sport ravagée par les émeutiers – ou par les policiers ? – au toit où s’improvise un barbecue clandestin à base de merguez, bientôt empêché par des forces de l’ordre zélées, leurs caractères ne tardent pas à se dessiner : violemment impulsif, Vinz entend bien venger Abdel, voire abattre un policier si le jeune homme venait à mourir, à l’aide du Smith & Wesson 44 Magnum qu’il a trouvé dans le quartier et garde en permanence sur lui ; à l’inverse, Hubert est un modèle de colère intérieure, profonde et rentrée, qui le pousse à vouloir quitter Les Muguets plutôt que d’ajouter de la violence à la violence ; entre eux, Saïd joue, avec une certaine candeur, le rôle d’intermédiaire. Bientôt refoulés manu militari de l’hôpital où ils souhaitaient rendre visite à leur ami, les trois jeunes hommes se mettent alors en route pour Paris où ils entendent récupérer l’argent qu’un mystérieux Astérix doit à Saïd.
Pour retisser la trame des pérégrinations de Vinz, Saïd et Hubert, Mathieu Kassovitz n’a pas opté pour la solution de facilité et cédé à la tentation de reprendre des images de son film. En lieu et place, il recrée tout un univers qui, s’il emprunte la plupart des passages obligés du scénario de La Haine, ne s’en contente pas. Celles et ceux qui ont vu le long-métrage reconnaîtront, évidemment, l’essentiel de ses scènes emblématiques – le cultissime « Nique ta mère, le maire », le référencé « Vas y dis à ton frère de descendre », l’irrésistible coupe de cheveux ratée, le monologue échevelé du juif, incarné dans le spectacle par Mathieu Kassovitz lui-même, ou encore la mythique réinterprétation de Robert de Niro par Vincent Cassel –, pourront déplorer l’absence de toute vache hallucinée ou de tout achat de poivrons rouges à la place des verts – troqué contre un entracte dispensable –, et seront sans doute surpris de faire face à des séquences nouvelles, comme la rébellion de la soeur de Saïd, devenue une jeune femme pleine d’aplomb, et l’échange entre Vinz et sa petite amie, qui tente de le convaincre de mettre les voiles. Au-delà de l’apparition de références, parfois téléphonées, à notre époque – au RN et à Bardella, à l’IA et à PayPal, à Naruto et à Bigflop (sic) et Oli, à la voiture autonome et au smartphone, transformé en nouveau miroir –, cette actualisation met en relief les évolutions et les permanences sociétales, augmente le contraste entre les unes et les autres, et souligne que si la place des femmes n’est aujourd’hui plus tout à fait la même qu’au milieu des années 1990, le racisme systémique, le mépris social et les violences policières ont encore voix au chapitre.
Ce pont entre hier et aujourd’hui, qui paraît, tout à la fois, enjamber et englober les trente années qui viennent de s’écouler, Mathieu Kassovitz lui donne une traduction scénographique, impeccablement maîtrisée, mais aussi scénique. Pour remplacer la bande originale de son film, dont il ne reste que le titre iconique de Bob Marley en version remixée, le réalisateur et metteur en scène a confié la direction musicale à DJ Proof et réuni un éclectique parterre de choix, composé notamment de M, Angélique Kidjo, The Blaze, Youssoupha, Médine, Akhenaton, Oxmo Puccino ou encore Clara Luciani. Cet attelage, s’il ne génère pas que des tubes, mais quelques jolis morceaux (Vivre ensemble, Le Chant des partisans, L’4mour), permet de donner une teinte résolument contemporaine aux fragments du scénario de 1995. Loin de se contenter, comme nombre de comédies musicales, d’une simple enfilade de titres, Mathieu Kassovitz mise, par ailleurs, sur des séquences de danse hip-hop, imaginées par Émilie Capel et Yaman Okur et inspirées du krump, du break ou de la house, et de vrais moments de théâtre pur, où les trois acteurs principaux, à commencer par Samy Belkessa, font montre de leur talent. Si ces passages ne réussissent pas souvent à renouer avec la subversion sous-jacente, y compris langagière, de l’oeuvre d’origine, s’ils ne charrient pas toujours avec eux autant d’humour corrosif, d’intensité ou de profondeur inattendue – mentionnons, à titre d’exemples, le vernissage ou la (fausse) roulette russe – que leurs illustres aînés, si l’ensemble paraît globalement plus lisse que la version filmique, comédie musicale oblige, Mathieu Kassovitz réussit, malgré tout, son audacieux pari, dans sa façon de transmettre le combat d’une génération à l’autre.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Haine. Jusqu’ici rien n’a changé
Direction artistique Mathieu Kassovitz
Mise en scène Mathieu Kassovitz, Serge Denoncourt
Avec Alivor, Samy Belkessa, Alexander Ferrario
Direction musicale DJ Proof
Chorégraphie Émilie Capel, Yaman OkurProduction Farid Benlagha Le Hazif, Mathieu Kassovitz, La Haine Productions
En collaboration avec Live Nation et Nouëva ProductionsDurée : 2h (entracte compris)
La Seine Musicale, Boulogne-Billancourt
du 10 au 20 octobre 2024, puis du 27 novembre au 5 janvier 2025Le Dôme, Marseille
du 8 au 10 novembreLDLC Arena, Lyon
du 15 au 17 novembreZénith de la Métropole Rouen Normandie
les 24 et 25 janvier 2025Zénith de Caen
les 31 janvier et 1er févrierZénith d’Auvergne, Clermont-Ferrand
les 7 et 8 févrierZénith de Dijon
les 14 et 15 févrierZénith d’Amiens
les 28 février et 1er marsLe Liberté, Rennes
les 7 et 8 marsBrest Arena
les 14 et 15 marsZénith Nantes Métropole
les 21 et 22 marsArkea Arena, Bordeaux
les 28 et 29 marsZénith Toulouse Métropole
les 4 et 5 avrilSud de France Arena, Montpellier
les 11 et 12 avrilPalais des sports de Grenoble
les 18 et 19 avrilPalais Nikaia de Nice
les 25 et 26 avrilArena de Genève
les 9 et 10 maiForest National, Bruxelles
les 23 et 24 matZénith de Lille
les 6 et 7 juinLe Galaxie d’Amnéville
les 13 et 14 juinZénith Europe Strasbourg
les 20 et 21 juin
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