Au Théâtre Ouvert, Marc Lainé reprend le texte sinueux et complexe de Simon Diard. De cet enchevêtrement de récits où la mort rôde, le metteur en scène révèle tout le pouvoir anxiogène qui déstabilise les plus aguerris.
La Fusillade sur une plage d’Allemagne n’est pas un territoire totalement inconnu pour Marc Lainé. En 2015, déjà, le metteur en scène avait choisi de mettre en espace le texte de Simon Diard, sorte de prélude pour en apprivoiser les méandres. Aujourd’hui, il revient au Théâtre Ouvert, avec le soutien du Théâtre National de Strasbourg, pour remettre l’ouvrage sur le métier et en proposer une « vraie » mise en scène. Accompagné par une troupe de comédiens presque identique – Ulysse Bosshard, Jonathan et Mathieu Genet, Olivier Werner et Cécile Fišera qui a pris la place de Bénédicte Cerutti – il s’aventure à nouveau dans cette pièce complexe où les pistes s’ouvrent aussi vite qu’elles se ferment, où il faut accepter de se perdre pour mieux découvrir, où le lâcher-prise est la règle, voire la condition sine qua non de la performance littéraire et théâtrale.
Kaléidoscope de récits qui se mêlent autant qu’ils s’entrechoquent, La Fusillade sur une plage d’Allemagne est un texte pour le moins étrange, particulièrement mouvant et instable. A chaque fois que l’on croit en saisir le sens, il nous échappe instamment, comme du sable que l’on tente d’empoigner et qui, irrémédiablement, nous file entre les doigts. Assis en bord plateau, avec une mystérieuse fosse en toile de fond, cinq personnages-témoins content une série d’histoires. Il y est toujours question de guerre civile, de meurtres groupés, d’assassinats en nombre. Apparemment distinctes, toutes convergent progressivement vers la figure d’un seul homme, un adolescent qui, sur une plage d’Allemagne, aurait commis un massacre de masse. Son portrait n’est pas tout à fait figé. Il a parfois le crâne rasé d’un néo-nazi, parfois la chevelure blonde de l’auteur de la tuerie de Columbine, celui que Gus Van Sant a porté à l’écran dans Elephant.
A travers ce texte puissamment créateur d’images, s’instaure une zone de mirages où la réalité et la fiction se confondent, où les frontières entre vécu et fantasme s’abolissent. Les raconteurs sont-ils vraiment des témoins ? Cette tuerie est-elle passée ou à venir ? N’est-elle, au contraire, que la projection d’une peur collective ? Chacun pourra, au gré de ces tiroirs multiples, y voir ce qu’il entend, y retenir ce qu’il comprend, mais demeure comme fil conducteur cette terreur que Marc Lainé parvient à créer et à entretenir. Leur regard plongé dans celui du spectateur, les comédiens arborent une posture ambivalente, faite d’un ton alarmiste et d’une attitude détachée. Quand leurs yeux transpirent l’inquiétude, leurs visages affichent des traits quasi sardoniques. Les nerfs sont mis à rude épreuve dans ce climat anxiogène qui n’a rien à envier, utilisation de la caméra en gros plan à l’appui, au Projet Blair Witch.
Avant d’être une pièce sur les ravages du terrorisme – son écriture est d’ailleurs antérieure aux attentats de novembre 2015 et à la fusillade survenue sur la plage tunisienne de Sousse en juin 2015 – La Fusillade sur une plage d’Allemagne est une expérience intime de l’angoisse, de cet environnement toujours incertain où, à n’importe quel moment, tout peut survenir, où la réalité peut se trouver modifier au gré du travail de l’imagination. Évidemment, ce spectacle n’est pas à mettre devant tous les yeux, ni entre toutes les mains. Parce qu’il pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses, il pourra sans doute créer chez certains un puissant sentiment de rejet. Et pourtant, c’est bien le mystère qu’il se plait à faire émerger et perdurer qui en fait toute la force.
La Fusillade sur une plage d’Allemagne
de Simon Diard
Mise en scène et scénographie Marc Lainé
avec Ulysse Bosshard, Cécile Fišera, Jonathan Genet, Mathieu Genet et Olivier Werner
Lumières Nicolas Marie
Vidéo Vincent Griffaut
Production Théâtre Ouvert – Centre national des dramaturgies contemporaines / La Boutique Obscure avec le soutien de la région Ile-de-France
Coproduction Théâtre National de Strasbourg avec le dispositif d’insertion de l’Ecole du Nord, soutenu par la région Hauts-de-France et la DRAC Hauts-de-France, d’ARTCENA
Le texte est paru aux éditions Tapuscrit/Théâtre Ouvert et est finaliste du Grand Prix de littérature dramatique 2015. Il est lauréat de la Commission nationale d’Aide à la création de textes dramatiques – ARTCENA
Marc Lainé est artiste associé au CDN de Normandie-Rouen. Sa compagnie La Boutique Obscure, implantée en Normandie, est en résidence à la Scène Nationale 61
Durée: 50 minutesThéâtre Ouvert
Du 19 janvier au 10 février 2018
Les mardis et mercredis à 19h, les jeudis, vendredis et samedis à 20h
Les lundis 22 et 29 janvier 2018Théâtre National de Strasbourg
du 14 au 23 février 2018
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