Dans un seule en scène intime, qui lui a valu le prix des Lycéens au Festival Impatience 2023, Yasmine Yahiatène dit sa colère d’avoir été privée de père et de racines qu’elle associe à la violence des répercussions de la colonisation française en Algérie. Un spectacle parfois bancal, mais très sensible.
Formée à la vidéo et à la performance à l’Académie des Beaux-Arts de Tournai, dans son Nord natal, à Valence en Espagne, ainsi qu’aux Rencontres Audiovisuelles de Lille, Yasmine Yahiatène met l’image animée au centre de son solo théâtral La Fracture, créé en 2022, lauréat du prix du jury des jeunes au Festival Fast Forward de Dresde cette même année et du prix des Lycéens lors du Festival Impatience 2023. Alors que le public arrive, elle achève de tracer au sol les marques d’un terrain de foot, puis endosse un maillot bleu floqué du nom de Zidane, et lance, sur grand écran, la projection de la fin du match victorieux de l’équipe de France face au Brésil en juillet 1998. Elle a 8 ans, et tout fait Histoire. Les voix mêlées de Jean-Michel Larqué et Thierry Roland, le troisième but d’Emmanuel Petit, les sourires immenses de Platini, pas encore récusé des instances internationales du foot, et de Jacques Chirac, pas encore mort.
Le décor est planté, mais la comédienne y ajoute les séquences qui suivent ces 90 minutes : liesse au son de Gloria Gaynor et Marseillaise main sur le cœur. Probablement est-ce sa façon de dire à quel point est réuni dans ce moment footballistique ce qui l’écartèle dans sa vie personnelle : le lien de la France à l’Algérie. Car, si La Fracture est la traduction scénique d’une enfance heureuse – une famille aimante et joyeuse que démontre la diffusion d’extraits de séquences filmées au caméscope –, c’est aussi celle d’une asphyxie à force de non-dits. Dans ces fêtes à rallonge, son père rigole, certes, mais se noie aussi, et voici que la comédienne énonce que l’alcoolisme comme la guerre d’Algérie tiennent en trois mots : silence, tabou, honte.
Sur un rythme déstabilisant fait de seulement quelques séquences très étirées, le spectacle se conclut de façon « cut », sans qu’une narration se soit vraiment installée. Mais Yasmine Yahiatène a semé déci delà les raisons de ses colères : personne ne lui a transmis l’apprentissage de la langue arabe, et elle est donc incapable de bien prononcer son nom de famille ; elle ne sait pas lire les tatouages des femmes de sa famille ; elle n’a jamais mis un pied en Kabylie. Alors, elle s’efforce de situer, avec de nombreuses précisions géographiques, les villages du père de Zidane ou de son grand-père adoré, chacun poussé brutalement hors d’Algérie, respectivement en 1953 et en 1961. Comme s’il lui fallait prononcer toutes les syllabes de ces lieux inconnus pour tenter enfin de les approcher. Et calmer ainsi sa rage qu’elle fait aussi passer par le flow du rappeur algérien Soolking et sa Guérilla.
En s’appuyant sur un mapping astucieux qui offre des larmes à son père disparu, elle conjure ce sort qui n’est pas que familial, mais bel et bien politique : la façon dont l’État français a mené la décolonisation et l’immigration algériennes. Puisque le boulot a été mal fait, elle prend sa part pour faire la jonction – artistique – entre toutes ces plaies. Avant d’effectuer le grand voyage vers les terres de ses ancêtres qu’elle s’est promis pour cette année.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
La Fracture
Conception et interprétation Yasmine Yahiatène
Dramaturgie et co-conception Sarah-Lise, Salomon Maufroy
Collaboration artistique et co-conception Olivia Smets, Zoé Janssens
Création sonore Jérémy David, Martin Coutant
Création vidéo Samy Barras
Création lumière Charlotte Ducousso
Régie vidéo et lumière Samy Barras, en alternance avec Estefania Bigatti HuygenProduction déléguée Atelier 210
Coproduction et coprésentation Kaaitheater – Bruxelles
Coproduction BUDA – Courtrai ; Little Big Horn asbl ; la Coop asbl ; Shelter prod
Avec l’aide de la Fédération Wallonie Bruxelles – Service Théâtre, la Ville de Bruxelles – Bourse Kangoroe, la Vlaamse Gemeenschap Commissie
Avec le soutien de Kunstenwerkplaats – Bruxelles, Citylab – Bruxelles, Darna asbl – Bruxelles, Centre Wallonie Bruxelles – Paris, Montevideo – Centre d’art – Marseille, Espace Senghor – Bruxelles, Cie L’hiver nu – Mende, Le Sillon Lauze – Marvejols, de taxshelter.be, ING, tax-shelter du gouvernement fédéral belgeDurée : 50 minutes
Vu en janvier 2025 au Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon
Théâtre Nouvelle Génération, CDN de Lyon
du 11 au 14 février 2025Centre Culturel d’Uccle, Bruxelles
le 24 avrilLe Pavillon, Romainville
le 27 maiFestival Démostratif, Strasbourg
le 6 juin
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