Romeo Castellucci fait son grand retour au Théâtre royal de La Monnaie, la scène qui l’a vu naître metteur en scène d’opéra en 2011. Remettant sévèrement en cause la portée bienfaitrice de la lumière mozartienne, il éclaire d’une manière très conceptuelle et subjective sa Flûte enchantée dans une version idéologique qui décontenance.
Comme les bouleversants Parsifal de Wagner ou Orphée et Eurydice de Glück présentés par Castellucci à Bruxelles – d’incontestables réussites -, l’ultime chef-d’oeuvre de Mozart est une quête initiatrice, une mise à l’épreuve, propre à bouleverser l’homme dans son rapport au monde. La pièce est traversée des questions de vie et de mort, de passage de l’enfance à l’age adulte, de lutte entre le bien et le mal représentés par l’éternel affrontement de la lumière et des ténèbres. Ainsi, elle ne pouvait qu’intéresser Romeo Castellucci, moins pour ses attraits féeriques et populaires que pour les signes et les symboles souterrains qui abondent et ouvrent la voie à tant d’interprétations. Mais le génial metteur en scène italien qui ne cesse de produire un théâtre s’apparentant à une entreprise de déchiffrage et de recomposition, fait preuve d’une suspicion envers l’ouvrage qui l’amène presque à la désavouer, à la nier. En voulant faire éclater les certitudes manichéistes contenues dans l’oeuvre, Castellucci prive dommageablement de sa belle utopie.
Exit les dialogues initiaux d’Emanuel Schikaneder – ce n’est pas une première fois -, intrigue et personnages sont réduits à néant. Castellucci renverse le propos et ses rapports de force. Chez lui, le monde lumineux de Sarastro perd toute crédibilité tandis que la nuit est d’une clarté irradiante. Les actes se suivent mais ne se ressemblent pas. La première partie est un vilain tableau d’inspiration rococo représentant des festivités de Cour chorégraphiées par Cindy Van Acker. Devant les moulures d’un palais écrasant couleur crème Chantilly, les interprètes dédoublés et indifférenciés forment un ensemble trop rigidement organisé et pesant de formalisme. Figures poudrées, emperruquées, ils dépeignent avec moult ronds de jambe et ports de bras un monde ancien, celui de la Révolution française, aux codes désuets, périmés. Des ribambelles de plumes, de fesses et poitrines nues, dignes des Folies Bergères étourdiraient le moins habile des oiseleurs. L’ouvrage perd tout sons sens sous les traits de ce divertissement factice. Après l’entracte, La Flûte s’ancre cette fois dans notre époque et notre réalité. Le décor d’une sinistre neutralité est celui une salle d’usine ou d’asile. On a tant de fois admiré, vanté, l’esthétique fascinante de Castellucci qu’on peine à croire possible que tout ce qui s’offre au regard sur le plateau soit si laid !
Dix amateurs belges accidentés de la vie participent au spectacle. Des femmes non-voyantes se proposent comme l’allégorie de la nuit et de la maternité. Des hommes aux corps grièvement brûlés et dont les séquelles demeurent des traces indélébiles imprimées sur leurs corps exposés ont, à l’instar de Pamino et Tamina, subi l’épreuve du feu et ses dangers. Leur présence organique sur scène apporte sa seule justification pertinente à la lecture de Castellucci. Mais leurs témoignages certes puissants étirent la représentation et cassent la dramaturgie musicale.
Les chanteurs sont moyennement expressifs et toujours inutilement « mochisés ». On connait heureusement l’irrésistible séduction d’Ed Lyon, vaillant Tamino, de Sophie Karthäuser, chanteuse mozartienne toujours d’une grande finesse, de Sabine Devieilhe, douce et aérienne Reine de la nuit. Ils forment une distribution brillante mais ne trouvent pas suffisamment de relief dans cette mise en scène. Seule exception : un Georg Nigl livré à lui-même en Papageno gouailleur à l’excès en total décalage. Les solistes sont néanmoins tous accompagnés avec soin par le très dynamique chef Antonello Manacorda. En choisissant des tempi d’une très grande rapidité, il rend justice à la théâtralité et à la vivacité alerte de l’oeuvre au risque d’une certaine brusquerie pas toujours heureuse. Sous sa baguette, on retrouve un Mozart lumineux et généreux.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
La Flûte enchantée
Direction musicale ANTONELLO MANACORDA (18, 20, 21, 25, 27, 28, 02, 03)
BEN GLASSBERG (23, 26, 30, 04)
Mise en scène, décors, costumes, éclairages ROMEO CASTELLUCCI
Chorégraphie CINDY VAN ACKER
Architecture algorithmique MICHAEL HANSMEYER
Collaboration artistique SILVIA COSTA
Dialogues supplémentaires CLAUDIA CASTELLUCCI
Dramaturgie PIERSANDRA DI MATTEO, ANTONIO CUENCA RUIZ
Chef des chœurs MARTINO FAGGIANISarastroGÁBOR BRETZ
TIJL FAVEYTS (20, 23, 26, 28, 02, 04)
TaminoED LYON
REINOUD VAN MECHELEN (20, 23, 26, 28, 02, 04)
SprecherDIETRICH HENSCHEL
Königin der NachtSABINE DEVIEILHE
JODIE DEVOS (20, 26, 28, 02, 04)
PaminaSOPHIE KARTHÄUSER
ILSE EERENS (20, 23, 26, 28, 02, 04)
Erste DameTINEKE VAN INGELGEM
Zweite DameANGÉLIQUE NOLDUS
Dritte DameESTHER KUIPER
PapagenoGEORG NIGL
PapagenaELENA GALITSKAYA
Monostatos, ein MohrELMAR GILBERTSSON
Erster Priester / Zweiter geharnischter MannGUILLAUME ANTOINE
Zweiter Priester / Erster geharnischter MannYVES SAELENS
Drei KnabenAXEL BASYURT (20, 23, 26, 28, 02, 04), SOFIA ROYO CSÓKA, ALEJANDRO ENRIQUEZ (20, 23, 26, 28, 02, 04), TOBIAS VAN HAEPEREN, ELFIE SALAUDDIN CRÉMER, AYA TANAKA (20, 23, 26, 28, 02, 04)Danseurs
STÉPHANIE BAYLE, MARIA DE DUENAS LOPEZ, LAURE LESCOFFY, SERENA MALACCO, ALEXANE POGGI, FRANCESCA RUGGERINI, STEFANIA TANSINI, DANIELA ZAGHINI, TIMOTHÉ BALLO, HIPPOLYTE BOUHOUO, LOUIS-CLÉMENT DA COSTA, EMMANUEL DIELA NKITA, AURÉLIEN DOUGÉ, JOHANN FOURRIÈRE, PAUL GIRARD, NUHACET GUERRA, GUILLAUME MARIE, TIDIANI N’DIAYE, XAVIER PEREZComédiens amateurs
DORIEN CORNELIS, JOYCE DE CEULAERDE, MONIQUE VAN DEN ABBEEL, KATTY KLOEK, LORENA DÜRNHOLZ, JAN VAN BASTELAERE, MICHIEL BUSEYNE, JOHNNY IMBRECHTS, YANN NUYTS, BRECHT STAUTComédiens
SOPHY RIBRAULT, CINZIA ROBBIATI, MICHAEL ALEJANDRO GUEVARA, GIANFRANCO PODDIGHE, BOYAN DELATTRE / AMOS SUCHEKIOrchestre symphonique et chœurs de la Monnaie
Académie des chœurs et chœurs d’enfants et de jeunes de la Monnaie s.l.d. de Benoît GiauxThéâtre Royal de La Monnaie Bruxelles
18 septembre 2018 20:00:00
20 septembre 2018 20:00:00
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30 septembre 2018 15:00:00
02 octobre 2018 20:00:00
03 octobre 2018 20:00:00Opéra de Lille
Avril 2019 : Ma 30 (20h) / Mai : 2 (20h), 5 (16h), 7 (20h), 9 (20h), 11 (18h), 14 (20h), 16 (20h), 18 (18h)
En plus de 9 représentations en grande salle (avec une autre distribution qu’à Bruxelles, La Flûte enchantée sera retransmise en direct sur grand écran devant l’opéra de Lille et dans 25 communes de la région Hauts-de-France.
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