Invité au festival en 2014 avec « La Imaginación del futuro », Marco Layera revient avec « La Dictadura de lo cool », un autre point de vue sur la politique culturelle chilienne et plus généralement occidentale. Un drame grinçant baignant dans une esthétique maculée des conséquences de nos contradictions.
Avant même que la lumière ne s’allume sur le plateau, une représentante du Ministère de la Culture chilienne fait une enquête à main levée auprès du public : « qui est habillé pour plus de 200 euros ? », « qui est de droite ? », « qui a voté François Hollande ? » : le but évident étant de nous mettre face à nos propres contradictions, nous préparer à rire de notre ridicule…
Car ces « bobos » chiliens ont l’air bien français, ou du moins Européens : la description de la voix off est sentencieuse : ils ont de l’argent mais se disent sensibles aux problèmes sociaux, ils rêvent de Berlin et habitent des quartiers historiques vidés de leurs habitants historiques.
Dans ce monde qui est absolument le nôtre – les spectateurs du festival d’Avignon –, des amis sont rassemblés pour fêter la nomination de l’un d’entre eux au poste de Ministre de la Culture – incarné par un sosie de Mark Zuckerberg. Tous de gauche et « concernés », ils pensent néanmoins que cet événement va leur permettre d’obtenir les emplois les plus prestigieux du pays. Mais, fidèle à ses idéaux, le nouveau ministre va se faire une joie de ne rien leur donner : ce seront des gens vraiment issus du peuple qui occuperont les postes clés. Tel un Faust social, le nouveau Ministre a vendu son âme aux pauvres.
Comme le caractère du héros, le spectacle est explosif, mené par une troupe très jeune à la sève débordante. Le problème est grave mais montré avec une joie communicative : musique à fond (Stromae, System of Down, la « Gasolin »), danse, « binge drinking » : tout dans cette mise en scène illustre la déglingue du monde moderne qui se dit intéressé par l’état de nos sociétés mais s’aveugle avec l’alcool et la drogue. Ils sont une bande d’enfants mesquins, se parant des plus belles vertus pour pratiquer exactement ce qu’ils reprochent aux capitalistes : on est effrayé quand, sans rougir, l’épouse du nouveau ministre a demandé à sa femme de ménage de porter toute la soirée un costume d’ours ridicule afin qu’elle puisse payer un iPhone à son fils. Cette bande est la même qui défile avec des panneaux naïfs : « Peace not war », « Don’t kill animals » ou encore « We are all the sames ». Les même qui rêvent du lointain et qui ne se privent pas de pratiquer le tourisme sexuel en Thaïlande.
Ce qui, à première vue, pourrait n’être qu’un empilement de clichés est pourtant une réflexion sincère où la technique théâtrale est utilisée avec maîtrise. Derrière le grand salon aménagé sur le plateau, de petits espaces dans lesquels se déroulent d’autres actions sont filmés par des caméras mobiles, offrant crument l’envers du décor mais soigneusement mis en scène – on verra à la fin du spectacle que les « cools » ont conscience de la présence des caméras.
Regarder « La Dictadura de Lo Cool » est un moyen de découvrir le monde « bobo » chilien : brutal, violent, sans fards. On verrait là presque un penchant trash du spectacle de Maëlle Poésy présenté en début du festival, car ici aussi le geste politique radical est l’essence de ce qui est montré. Une mise au point salutaire à l’ère où « être solidaire n’a jamais été aussi confortable »…
Hadrien VOLLE – www.sceneweb.fr
« La Dictadura de lo cool »
Mise en scène : Marco Layera
Texte : La Re-sentida
Scénographie : Pablo de la Fuente
Costumes : Daniel Bagnara
Musique : Alejandro Miranda
Avec : Diego Acuña, Benjamín Cortés, Carolina de la Maza, Pedro Muñoz, Carolina Palacios, Benjamín Westfall
Production La Re-sentida
Coproduction HAU Hebbel am Ufer (Berlin), Fondation culturelle fédérale allemande
Avec le soutien de l’Onda
Spectacle en espagnol surtitré en français.
Durée : 1h25Avignon 2016
Gymnase du lycée Aubanel
Du 18 au 24 juillet sauf le 22 à 18h
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