En décidant d’appuyer son texte sur deux époques, Elemawusi Agbedjidji met en scène une histoire peu reluisante de marins français qui laissèrent à l’abandon leurs esclaves sur une minuscule île au large de Madagascar au XVIIIe siècle. Instructif et implacable.
Il (Gustave Akakpo) est sur le plateau ; elle (Khadija Kouyaté) dans la salle. Il nous faut couper les téléphones, car nous allons assister à l’audition d’un étudiant qui veut décrocher son inscription en Master Théâtre et anthropologie. Début abrupt pour ce récit sec qui tiendra cette ligne durant à peine 1h15, rythmé par des allers-retours entre le présent de ce jeune qui déploie les trois phases de sa présentation – exposé, questions-réponses avec l’auditoire et mise en dialogue de son propos – et le passé qu’il étudie. C’est là que se trouve tout le cœur de ce qu’Elemawusi Agbedjidji a à nous dire. Le reste n’est qu’une forme pour donner (bonne) consistance à ce sujet édifiant et tracer une piste, secondaire ici, de la difficulté pour un étranger à obtenir ses papiers en France.
En juillet 1761, un bateau de la Marine française échoue sur les côtes de l’île Tromelin. Peu avant, les colons avaient fait le plein d’esclaves malgaches dans leurs cales, dont une jeune fille de dix ans vendue pour couvrir les dettes de son père. Marche après marche, en grimpant de manière forcée dans ce navire nommé l’Utile, elle dit sa peur face à ces marins de la métropole à qui ont été légués un « trône » et des bons noms de famille, comme celui de Castellan du Vernet, second de commandement du bateau. Comme soixante autres, elle est débarquée en catastrophe, mais survivante, sur un bout de terre de l’océan Indien, inaccessible, car entouré de barrières de corail et « trois fois plus petite qu’un arrondissement de Paris » au point qu’on en fait le tour en trente minutes : l’île de sable ou île Tromelin.
La langue de l’auteur n’est pas accusatrice et ne se transforme pas en réquisitoire. Il ne s’agit pas de faire l’histoire de l’esclavage comme l’explique le personnage de l’étudiant, mais d’observer l’attitude de « l’individu face au néant et notre capacité à rester debout sans rien ». Celui qui est aussi metteur en scène montre la solitude de ses protagonistes avec un décor simple : une carte dessinée au sol et une rangée de projecteurs bassement positionnés à cour et à jardin – rappelant les éléments piliers de nombreuses scénographies de David Bobée, Elemawusi Agbedjidji ayant été son acteur dans Lucrèce Borgia.
Ces situations ne doivent rien au hasard. Elles résultent de choix politiques forts distillés ici et là : une loi ancienne qui permet la marchandisation humaine, des promesses non tenues – il faudra quinze ans pour que soient secourus les sept femmes restantes et le bébé de cette île sans arbre ni ombre, balayée par les vents au point que c’est aujourd’hui une station de Météo France pour étudier les cyclones.
La Chute infinie des soleils, créée au théâtre des Célestins de Lyon en janvier 2024, est aussi la caisse de résonance des batailles d’appartenance qui perdurent entre Madagascar, la France et l’île Maurice. L’auteur fait le choix pertinent de clore cette pièce sur une histoire similaire à celle décrite : le voyage d’Emmanuel Macron en 2019 dans l’Archipel des Grandes Glorieuses, à l’Ouest cette fois-ci de Madagascar. Il y affirmait que ces îles faisaient la « formidable richesse » et la « fierté » de la France déclenchant la colère d’Antananarivo. Les mots sont secs, projetés sans autre fioriture, sur des écrans de surtitrage. L’histoire bégaye et le théâtre n’en finit pas de décentrer notre regard. Salutaire.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
La Chute infinie des soleils
de Elemawusi Agbedjidji
Avec Gustave Akakpo, Khadija Kouyaté
Scénographie Charles Chauvet
Costumes Laura de Souza
Son Pidj Boom
Lumière Guillaume Tesson
Vidéo Benoit LahozProduction Compagnie Soliloques
Coproduction Célestins – Théâtre de Lyon, Passages Transfestival – Metz, Festival La Fabrique de fictions – Lomé
Avec le soutien du ministère de la Culture – DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, de la Commission internationale du théâtre francophone, de La Maison Maria Casarès, de l’Institut français du Togo – Togo Créatif, du Département de La Drôme.L’écriture du texte a reçu le soutien de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, Institut français de Paris – Visa pour la création, Ambassade de France au Togo, Centre Intermondes de La Rochelle, La Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle – Villeneuve-lez-Avignon, Bourse Odyssée – Association des centres culturels de rencontre.
Durée : 1h15
Vu en janvier 2024 aux Célestins – Théâtre de Lyon
La Comédie de Valence, en itinérance :
Centre social – Salle Morcel Paquien, Livron-sur-Drôme
le 2 octobre 2024Salle Henri Maret, Jaillans
le 3 octobreSalle des fêtes Claude Pomero, Ballons
le 7 octobreSalle des fêtes de Roche-Saint-Secret-Béconne
le 8 octobreFoyer municipal Édouard Chapre, Bourg-Saint-Andéol
le 9 octobreCentre culturel Jean-Paul Roux, Lussas
le 10 octobreSalle des fêtes de Saint-Julien-en-Vercors
le 14 octobreLa Cacharde, Saint-Péray
le 15 octobreLADAPT – Le Safran, Valence
le 16 octobreSalle des fêtes de Montoison
le 17 octobre
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