La Casa do Povo n’est pas un centre d’art comme les autres, et c’est pourquoi le Festival d’Automne l’a fait se déplacer de São Paulo jusqu’au 11e arrondissement de Paris pour lui confier pendant deux semaines les clefs de la Maison des Métallos. Visite d’une utopie en mouvement.
Un ring de boxe occupe l’ensemble du hall de la Maison des Métallos tandis que, dans la salle principale, est diffusé le film de Gabriela Carneiro da Cunha et d’Eryk Rocha, La Chute du Ciel. De l’autre côté de la cour, il faut imaginer les 2-5 ans gazouiller dans le sable sous le regard de l’artiste et éducatrice Graziela Kunsch pendant que les 6 ans et plus partent à l’assaut de l’atelier de boxe que le collectif brésilien Boxe Autônomo anime en partenariat avec un club de Bobigny. Les parents, pendant ce temps, peuvent flâner sur la mezzanine surplombant le hall, s’adosser au zinc du bar ou observer le fonctionnement de la presse qui imprime tracts et zines à la demande. En cette rentrée, la Maison des Métallos bruisse d’une énergie nouvelle. Un an après s’être installé à la tête de cet établissement culturel de la Ville de Paris, dont la fin de saison 2024-2025 avait été partiellement bousculée par l’occupation de jeunes exilés qui y avaient trouvé refuge pendant trois mois, sa directrice, Alice Vivier, est enthousiaste à l’idée d’accueillir cette carte blanche, temps fort du prestigieux Festival d’Automne. « On a confié nos clefs à la Casa do Povo les yeux fermés et le public est au rendez-vous », se réjouit-elle.
Pendant deux semaines, 32 artistes du collectif, tout juste arrivés de São Paulo, prennent donc les rênes du lieu et y présentent huit projets, allant de la première française de The Last Supper du collectif Mexa aux ateliers menés par des noms incontournables de la scène brésilienne, comme Carolina Bianchi et Lia Rodrigues, mais aussi par la chorégraphe franco-algérienne Nacera Belaza. « Je préfère parler de huit graines plantées dans un sol commun, à partir desquelles d’autres propositions peuvent surgir », précise Benjamin Seroussi, directeur du lieu. Car « l’idée, c’est surtout d’amener nos façons de faire plus que nos œuvres ». Des « façons de faire » et une philosophie qui, il faut bien l’avouer, ont de quoi déconcerter autant que fasciner.
Créée en 1946 au sortir de la Seconde Guerre mondiale par un consortium de militants juifs antifascistes issus de la diaspora, la Casa do Povo occupe un immeuble de cinq étages en plein cœur du quartier populaire de Bom Retiro, à São Paulo. Au sous-sol, un théâtre historiquement reconnu comme lieu d’accueil des créations d’avant-garde militante, censurées pendant la dictature militaire de 1964 à 1985 ; au rez-de-chaussée, une cuisine ouverte sur la rue, surplombée par deux étages dédiés à la création ; quant au toit-terrasse, il accueille une académie de boxe. On y trouve aussi pêle-mêle des séances de psychanalyse gratuites, une coopérative de couturières boliviennes et des parutions en tous genres. Un tiers lieu ? Un centre socio-culturel ? Surtout pas, rigole Benjamin Seroussi. « Tous ces termes tentent de domestiquer nos pratiques, de les normaliser. » Le lieu se définit humblement comme un centre d’art. « Mais chacun le perçoit différemment. Certaines personnes, en passant devant, se demandent si ce n’est pas une église. »
Alors « l’altérité radicale », comment ça fonctionne ? Concrètement, la Casa do Povo constitue une association de 130 membres désignant la direction exécutive. Mais les clefs du lieu sont aussi données à vingt collectifs qui composent « le peuple de la maison ». Ceux-ci élisent des représentants qui ont voix au chapitre quant à la programmation et à la répartition des espaces de création. « Et étonnamment, ça marche, continue de sourire Benjamin Seroussi. Il y a des conflits, bien sûr, il faut se réinventer constamment, mais ça marche ». Quand il reprend les rênes du projet, en 2012, la Casa do Povo tombait quasiment en ruines. « Il ne restait qu’une chorale de femmes âgées qui répétait inlassablement Le Chant des partisans en yiddish ». Aujourd’hui, sur 300 demandes par an, la Casa de Povo accueille en moyenne une centaine de projets et d’artistes en quête d’un toit sous lequel poser leurs valises.
« C’est très inspirant de les voir travailler », admet Alice Vivier, qui espère voir l’effervescence de la rencontre infuser dans sa saison. Car l’idée, c’est bien entendu d’échanger les savoir-faire. « Je suis allée visiter ce lieu à São Paulo et j’ai été fascinée, abonde Francesca Corona, directrice artistique du Festival d’Automne à Paris. Que ce soit la précision de leur geste, la générosité qui s’en dégage, leur confiance dans l’accueil, dans l’hospitalité et leur capacité à réinventer l’institution. »
Solidarité à travers les frontières
Le Festival d’Automne s’est même prêté au jeu et installe provisoirement ses bureaux dans la Maison des Métallos, désignée comme un « QG temporaire ». Pour un festival qui se revendique nomade depuis sa création en 1972, c’est bien le signe que ses équipes sont inspirées par la proximité de ces nouveaux amis brésiliens. « Notre défi, ce n’est pas de grandir, mais plutôt de proliférer, se réjouit Benjamin Seroussi. L’idée est de ne surtout pas être un modèle, mais plutôt une expérience possible pour d’autres ».
À l’heure où le monde de l’art est de plus en plus tenté de faire voyager non seulement les artistes et les collectifs, mais aussi les institutions et les lieux culturels, c’est une expérimentation que tout un chacun espère fertile. Car déraciner un lieu, c’est donc, en creux, bousculer la définition même de l’institution, et notamment sa dépendance à ses murs. « On ne se situe pas du côté public ni du côté privé. On se situe dans l’institution du commun », complète Benjamin Seroussi. Sans coulisses, sans espace dédié et sans cloisons, « la Casa do Povo est un lieu qui pense la diaspora comme un territoire à habiter ».
L’accueil inconditionnel chevillé au corps, « on travaille beaucoup sur la question de l’altérité, poursuit le directeur du lieu. Ce que ça veut dire d’avoir survécu à un génocide. Et aussi comment on peut agir pour aider d’autres personnes qui souffrent d’ethnocides et de génocides, que ce soit au Brésil ou à Gaza. » Bien plus qu’un lieu de débats et de refuge, la Casa do Povo, c’est aussi un souffle puissant et émouvant qui attise les braises de l’imprévu et réaffirme la solidarité, plus que jamais nécessaire, à travers les frontières.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
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