En adaptant au théâtre Le Procès de Kafka, Krystian Lupa signe comme toujours un spectacle hors du commun, une expérience humaine exigeante et fascinante qui, même exagérément longue et digressive jusqu’à la confusion, dit avec effroi la prescience d’une terrible dévastation alors que le monde a dépassé les limites de l’absurde.
Le Maître de la scène polonaise fait pénétrer entre les murs gris bétonné d’un intérieur hostile et lugubre comme il s’immisce dans la conscience oppressée et vacillante de Joseph, le protagoniste du Procès, arrêté séance tenante mais sans justification apparente. Physiquement dédoublé sur scène, marchant fébrile en slip sur une ligne blanche comme un innocent condamné qu’il est, dans l’incompréhension de son destin qui lui échappe, pas encore prêt à accepter de prendre part à son exécution, le personnage dialogue avec lui-même, et on suit perturbé ses questionnements, ses sensations intérieures. Lupa saisit avec intensité la vulnérabilité exacerbée de l’être mis à nu et la tension sexuelle sous-jacente à son implosion.
Sur une scène claustrophique, fantomatique, Lupa déploie magistralement l’univers cauchemardesque et infernal de Kafka. Dans un silence pesant et un temps étiré, suspendu, des présences troubles rôdent et se débattent, des silhouettes fragiles, corps inertes, chair livide, souvent nue. Confinés et exposés ils sont en détention comme en combat permanent.
Après avoir longtemps privilégié pour compagnon de route l’imprécateur Thomas Bernhard dont il a monté avec brio sept textes, Lupa délivre avec Kafka une vision du monde plus sombre et pessimiste encore. Il fait entendre le mauvais pressentiment d’un inéluctable déclin du monde à venir. Les conditions dans lesquelles il a monté sa pièce sont forcément en cause. La nomination surprise de Cezary Morawski au théâtre Polski de Wroclaw – fleuron de l’avant-garde – a résolu l’artiste a suspendre les répétitions et quitter les lieux à la fin de l’été 2016 en signe fort de protestation face à la menace que représente le gouvernement ultranationaliste sur la culture et la pensée. Preuve que l’art est indestructible, Le Procès a finalement été créé à Varsovie où la troupe de Lupa a reçu le soutient de plusieurs institutions, notamment du Nowy Théâtre devenu le producteur principal du spectacle. Il est présenté en première française au Printemps des comédiens de Montpellier avant le Festival d’Automne à Paris.
Justement la pièce pointe la corruption des autorités arbitraires qui écrivent, modifient et appliquent des lois liberticides qui ne profitent qu’à elles-même au mépris de l’individu dévasté. Lupa évoque avec Kafka l’état critique de son propre pays, la Pologne, et plus largement des sociétés occidentales. Il n’y a pas d’issue : tout le monde est coupable. Réduits au silence et à l’enfermement, les acteurs se présentent rangés en ligne à l’avant-scène la bouche bâillonnée par un gros scotch noir. La diatribe contre le système et le pouvoir est puissante, féroce, même diluée dans cinq longues et éprouvantes heures qui plongent le spectateur dans une sidérante et suffocante désespérance.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Le procès
d’après Franz Kafka
Traduction : Jakub Ekier
Mise en scène, adaptation, décors, lumières : Krystian Lupa
Costumes : Piotr Skiba
Musique : Bogumil Misala
Vidéo, coopération à la réalisation des éclairages : Bartosz Nalazek
Animations : Kamil Polak
Maquillage et coiffure : Monika Kaleta
Avec : Bozena Baranowska, Maciej Charyton/ Bartosz Bielenia, Malgorzata Gorol, Anna Ilczuk, Mikolaj Jodlinski, Andrzej Klak, Dariusz Maj, Michal Opalinski, Marcin Pempus, Halina Rasiakowna, Piotr Skiba, Ewa Skibinska, Adam Szczyszczaj, Andrzej Szeremeta, Wojciech Ziemianski, Marta Zieba, Ewelina Zak
Photos : Magda Hueckel
Producteur principal : Nowy Teatr | Producteurs : Studio teatrgaleria ; Teatr Powszechny ; TR Warszawa ; Le Quai Centre Dramatique National Angers Pays de la Loire | Coproducteurs Kunstenfestivaldesarts, Bruxelles ; Printemps des Comédiens, Montpellier ; Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris ; Festival d’Automne à Paris ; La Filature, Scène nationale – Mulhouse; Théâtre du Nord, Lille ; La rose des vents – Scène nationale Lille Métropole Villeneuve-d’Ascq ; HELLERAU – Europäisches Zentrum der Künste Dresden ; Onassis Cultural Centre-Athens | Partenaire Teatr Polski w Podziemiu | Avec le soutien de la ville de Varsovie (Miasto Stołeczne Warszawa)
Spectacle en Polonais surtitré en FrançaisDurée 5h (avec 2 entractes)
Première française
Printemps des Comédiens 2018
THÉÂTRE JC CARRIÈRE
1 juin à 19 h 00
2 juin à 15 h 00Odéon dans le cadre du Festival d’Automne
20 – 30 septembre 2018
J’ai rarement vu un spectacle aussi ennuyeux de toute ma vie. Il cumule tous les pires clichés du théâtre contemporain : durée (5 heures !!!), intellectualisation à outrance, décor blafard, silences psychologiques à deux balles et, bien évidemment, acteurs et actrices nu-e-s. Je ne comprends pas l’engouement unanime de la critique sur un spectacle aussi mauvais et aussi chiant ! C’est du foutage de gueule (si au moins on avait quelque chose à faire de ce qui se passe sur scène…)
Je suis d’accord Isobel. C’est le ressassement bien souvent peu compréhensible, au sens propre puisqu’une partie des dialogues n’est pas traduit, d’un personnage qui erre dans une bulle de vide, accompagné d’une musique qui n’a rien à voir avec le texte. Je vais relire « Le procès », ce sera beaucoup plus satisfaisant.
Tellement d’accord ; tous les clichés du théâtre contemporaines, alternance de silences et de vociférations, vidéos et musique qui n’ont rien à voir avec le récit, tout comme les nus utilisés à outrance, même s’il y a bien une dimension sexuelle dans le procès. Quelques rares passages intéressants sur la politique et l’apparition de Max Brod dans le second tableau. A part ça ennui et fatigue. Mieux vaut relire le texte et voir le film de Orson Welles.