Au Théâtre de Belleville, Gilles Ostrowsky et Sophie Cusset transforment Le Roi Lear, revu et corrigé par Antoine Lemaire, en tragi-comédie burlesque, qui s’arrête au milieu du gué.
A la mode, la réécriture des classiques est un exercice pour le moins périlleux, où l’auteur contemporain prête naturellement le flanc à la comparaison avec l’illustre dramaturge qu’il l’a précédé. Malgré les plus de quatre siècles qui séparent l’original de la copie, la réécriture du Roi Lear concoctée par Antoine Lemaire n’échappe pas à cette inclination. Dans King Lear Remix, Lear n’est pas un homme grabataire devenu trop vieux pour gouverner. Dans la fleur de l’âge, le souverain un rien dérangé s’interroge, un soir de beuverie, sur son être profond et l’attitude de son entourage : est-il vraiment aimé pour ce qu’il est ou simplement parce qu’il est roi ? Au bord de la crise de nerfs, épuisé par des années de pouvoir, le voilà prêt à céder sa couronne à ses trois filles, Goneril, Regane et Cordelia, qui obtiendront chacune un morceau de royaume proportionnel à la qualité de la déclaration d’amour qu’elles sont contraintes d’offrir à leur père.
Nonobstant cet incipit modifié et les quelques arrangements – l’omniprésence médiatique, le « pauvre Tom » transformé en SDF chanteur… – avec l’intrigue originelle, resserrée autour des relations entre Lear et ses filles, la trame d’Antoine Lemaire marche, dans les grandes lignes, sur les traces shakespeariennes. Pas assez courtisane aux yeux du souverain, Cordelia se voit déshéritée et exilée auprès du roi de France, alors que Goneril et Regane règnent désormais, à parts égales, sur le royaume d’Angleterre. Accompagné d’encombrants chevaliers, Lear est indirectement chassé de la demeure de l’une, puis de l’autre, et poussé sur les routes, en compagnie de son fidèle allié déguisé en fou, le comte de Kent.
De plus en plus accélérée, jusqu’à en être évacuée, cette intrigue simplifiée se passe presque totalement de la langue du grand Will. En lieu et place, Antoine Lemaire calque des mots de notre temps, dans lesquels la vulgarité de cette famille de dingues, augmentée par leur attitude loufoque, se matérialise. Dans cet exercice, les comédiens ne déméritent pas. Véritables caméléons scéniques, Robin Causse, Sophie Cusset et Daniele Hugues glissent, avec la même aisance qu’un changement de perruque, d’un personnage à l’autre, quand Gilles Ostrowsky campe un Lear aux facultés intellectuelles caricaturalement limitées.
Mais, comme rattrapés par le fantôme tutélaire de Shakespeare, les deux metteurs en scène n’osent pas tout déconstruire et pousser, plus radicalement, les feux de la parodie. Alors que tout ce qui fait la beauté originelle du Roi Lear – la lente déshérence du roi, la poésie puisée dans la folie, la finesse du personnage de Cordelia… – a disparu, leur tentative de substitution, voire de reconstruction, n’affiche aucun objectif clair. On en vient alors à s’interroger sur le sens d’une telle réécriture. Parfois drôle, sans être complètement farfelue, elle n’exploite pas suffisamment les différentes pistes qu’elle lance et en vient à faire regretter l’original, dont le cuir, tanné par les siècles, offrait autrement plus de relief.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
King Lear Remix
Réécriture du Roi Lear de William Shakespeare
Texte, Antoine Lemaire
Un projet de Gilles Ostrowsky et Sophie Cusset
Avec Robin Causse, Sophie Cusset, Daniele Hugues, Gilles Ostrowsky
Scénographie, Sophie Cusset et Gilles Ostrowsky
Costumes, Sophie Cusset et Jacotte Sibre
Lumières, Sébastien Debant
Assistante artistique, Audrey Bertrand
Production Compagnie Octavio
Coproduction La Grange Dîmière, Théâtre de Fresnes, Compagnie Octavio, Scène Nationale du Jura et Lilas en scène
Remerciements Compagnie Rabeux, Marie-Claude Cusset, Hélène Audouy, Denis Arlot, Romain Henry, Alexandre Bustanoby et Dayan KorolicDurée : 1h20
Théâtre de Belleville, Paris
Du 9 au 26 janvier 2019
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