Je voudrais parler de Duras parle de l’amour davantage que de l’autrice qui en fit le cœur de son œuvre. A travers le récit de la liaison hors-normes qui, à la fin de sa vie, unit cette dernière à Yann Andréa, le spectacle du collectif Bajour offre une traversée de la passion romanesque jusqu’à l’inacceptable.
A l’heure de l’emprise et de la toxicité, que penser de la relation qui unit pendant 15 ans Marguerite Duras et Yann Andréa ? C’est certainement cette impression d’être bousculé, de ne plus savoir quoi penser, qu’on donne ici à l’amour et au désir une liberté sans limites, dépourvue de tout jugement moral, qui prédomine à voir Je voudrais parler de Duras du collectif Bajour. Duras a toujours eu le don d’être scandaleuse, en plus que d’écrire la passion d’une manière unique. La relation qu’elle a vécue avec ce jeune homme de 38 ans son cadet, de ses 66 ans jusqu’à la fin de sa vie, n’a pas échappé à la règle. Tout à la fois lumineuse et sombre, cette liaison telle que la rapporte Yann Andréa est tenue ici comme un objet fascinant, qui échappe aux grilles d’analyse d’hier et d’aujourd’hui, poursuivant ainsi, peut-être contre notre volonté, la sacralisation de cet objet Amour qu’a produit Duras dans toute son œuvre.
Je voudrais parler de Duras est d’abord le titre d’un livre-entretien entre Michèle Manceaux et Yann Andréa au sujet de la relation que ce dernier eut avec l’écrivaine. Il a déjà fait en 2020 l’objet d’une adaptation cinématographique via un film de Claire Denis avec Swann Arlaud et Emmanuelle Devos, Vous ne désirez que moi. Paru en 1996, après la mort de Yann Andréa en 2014 à l’âge de 62 ans, et 20 ans après celle de l’écrivaine, il raconte avec toute la spontanéité de la forme orale une liaison incroyable à de multiples titres. Pour la différence d’âge entre ses protagonistes et parce que Yann Andréa se considère comme homosexuel, bien sûr, mais surtout pour les formes qu’elle prend. L’admiration sans bornes de Yann Andréa pour l’écrivaine, la violence et le soumission que Duras lui impose, l’annihilation de soi à laquelle il s’adonne joyeusement, la fusion dans laquelle tous deux s’enferment, comme des gamins adolescents. L’amour ici prend les atours de l’extraordinaire et de l’absolu.
C’est Julien Derivaz qui endosse le rôle de Yann Andréa. Avec un entrain, un enthousiasme, une légèreté presque inconséquente. Son amour est idolâtre. Pour l’écriture de Duras dans un premier temps – il rencontre l’auteure à l’occasion d’une dédicace à Caen – puis pour la femme. Entre eux deux, se mêlent la réalité et la fiction. Les lieux légendaires comme l’hôtel des roches noires à Trouville. Personnes autant que personnages, ils semblent faire basculer ensemble leur vie dans un romanesque bien particulier qui devient leur unique référence et autorise ainsi les formes si peu conventionnelles de leur passion. Aux côtés de Julien Derivaz, en col roulé blanc à la Duras, Katell Daunis règle la régie et intervient comme un regard protecteur. De celle qui assure la précision des faits, prend des notes de metteuse en scène et couve l’acteur/amoureux de sa bienveillance. On s’ennuie un peu pour elle tant sa partition est réduite, mais sa présence triangule l’adresse du comédien, qui parle par ailleurs au public les yeux dans les yeux. Démarrant par l’audio d’une émission de Tout le monde en parle menée par Thierry Ardisson, le ton donné est à la franchise directe, brouillée bien sûr par l’aura médiatique du personnage de Duras.
On suit ainsi le récit de cette histoire et ses coulisses inconnues. Yann Andréa s’analyse autant qu’il se raconte. Rétrospectivement se saisit autant qu’il s’est échappé à lui-même dans le flot de la passion. Encore émerveillé, ne regrettant rien, il estompe certainement la violence de Duras, l’évoque en souriant. Porté par l’amour persistant pour cette femme à laquelle il aura peu survécu, il énonce en creux tout ce que chaque histoire d’amour a d’insaisissable à ceux qui lui sont extérieurs. Dans ce tourbillon de paroles, on entend défiler différentes facettes d’une histoire qui parait inépuisable à relater, et qui offre forcément un contrepoint à notre époque qui tente de moraliser ce qui peut-être ne peut l’être sans s’altérer mais aussi la précieuse capacité de Duras à casser les codes sociaux, moraux et les catégories. « Nous aimons notre contraire, nous aimons notre antidote, nous aimons notre enfer ».
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Je voudrais parler de Duras
d’après Yann Andréa
Adaptation et mise en scène Katell Daunis et Julien Derivaz
Avec Katell Daunis et Julien Derivaz.
Lumière Lucien Laborderie
Mixage son Étienne Bonhomme
Régie générale Alban Thiébaut
Régie son Étienne Martinez
Régie lumière Lucien Laborderie
Production BajourDurée 1 h
Le 11 avril 2024
Festival Mythos, RennesLe 19 avril 2024
Prades le lez (34)Du 3 au 21 juillet 2024
La Manufacture, Avignon OffDécembre 2024
Théâtre Public de Montreuil (à préciser)
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