Songe à la douceur est un spectacle saupoudré de pétales, fleuri et bleuté, fantaisiste et ouaté, emprunt de romantisme et de tragédie, baigné de musique et d’amours de jeunesse, de littérature et de délicatesse. Justine Heynemann adapte avec tact le roman de Clémentine Beauvais, entourée d’une équipe réjouissante.
Songe à la douceur, avec son titre caressant qui invite à se lover dedans, est un spectacle musical doux-amer traversé par les élans et émois amoureux de l’adolescence, adapté du roman éponyme de Clémentine Beauvais, lui-même inspiré d’Eugène Onéguine, roman en vers de Pouchkine et opéra signé Tchaïkovski. Songe à la douceur ou le défi du palimpseste de haut niveau. Ou comment s’emparer d’un récit daté issu du patrimoine romanesque pour le plonger dans notre ici et maintenant et observer la réaction chimique obtenue.
Comment tresser dans notre siècle une histoire ancrée dans le XIXème ? Les sentiments n’ont pas d’âge, la houle des doutes et déceptions, le désir qui emporte tout sur son passage, les rêves en grand des adolescents ne sont pas l’apanage d’une époque, ils traversent le temps, les modes et l’histoire de nos petites vies humaines. En choisissant d’écrire en vers libres, Clémentine Beauvais place la barre très haut puisqu’elle ne se contente pas de reprendre les personnages du livre et la ronde des sentiments, elle s’inspire de sa forme même, hybride et rare, de roman versifié. Et l’ambition se propage chez Justine Heynemann qui, épaulée par l’autrice elle-même ainsi que Rachel Arditi (par ailleurs au plateau) coud le livret de ce conte moderne pour la scène, lui insufflant des élans de comédie-musicale et de cinéma en technicolor.
Ce n’est pas la première fois que la metteuse en scène se confronte à l’écriture de Clémentine Beauvais, son adaptation des Petites Reines il y a quelques années avait fait mouche également et révélé une collaboration fructueuse et pertinente. Songe à la douceur confirme une complicité d’univers, une entente en sous texte, ce goût d’une langue littéraire accessible et joueuse, cette aspiration à souffler fantaisie et musique sur des scénarios tapissés de mélancolie, à colorer l’ennui, à enchanter les petits riens. En effet, tout pétille dans ce spectacle, les interprètes d’abord, les sentiments tout le temps et la musique (éclectique, variant les registres, brillamment composée par Manuel Peskine), qui enrobe, enveloppe, s’enroule dans la narration avec délectation. Même la mort semble légère dans ce décor de jardin où il fait bon danser pieds nus en robe tournoyante et blanche, et chanter sous une pluie de confettis.
Cette fresque rythmée et tourbillonnante est servie par des comédien.nes tout terrain, alternant en un tour de rein, jeu, chant et instruments. Ils passent du clavier à la batterie, de la guitare électrique au micro, ils courent, ils dansent, ils sautent, plein d’allant, d’humour et de transport. Le récit est rondement mené par Rachel Arditi, en forme olympique, assurément le clou du spectacle. Narratrice espiègle et pleine d’aplomb, elle mène le jeu avec verve et drôlerie, bouscule la chronologie pour mieux nous surprendre et nous suspendre aux sentiments mouvants d’Olga et Tatiana, les deux héroïnes antithétiques, perdues et éperdues, de ce spectacle sucré et soyeux qui s’empare avec un charme fou des émois de l’adolescence, des rêves de jeunesse, de cet âge où vivre est une grande chose et l’avenir un terrain de projection vertigineux. Cet âge où l’amour met le corps et le langage dans tous ses états. Cet âge où lire est une aventure et le romanesque au coin de chaque rencontre.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Songe à la Douceur
adapté du roman de Clémentine Beauvais (éditions Sarbacane)
mise en scène Justine Heynemannmusique Manuel Peskine / livret Rachel Arditi, Clémentine Beauvais, Justine Heynemann
avec Manika Auxire ou Lucie Brunet, Rachel Arditi, Elisa Erka, Thomas Gendronneau, Manuel Peskine, Benjamin Siksou / scénographie Marie Hervé / costumes Madeleine Lhopitallier / lumières Aleth Depeyre / chorégraphie Alexandra Trovato / © Cindy Doutre
production : Soy Création / soutiens : Sacem, Fonds de création lyrique SACD, DRAC Île-de-France, Région Île-de-France, Ville de Boulogne-Billancourt / accueil en résidence : Théâtre Paris-Villette, Théâtre 13, La Cuisine (Paris 5) / administrateur de production : Guillaume Alberny.
Théâtre Paris Villette
du 13 au 30 décembre 2022Vendredi 13 Janvier 2023
Centre Dramatique National de Sartrouville (78)Vendredi 27 Janvier 2023
Théâtre de La Celle-Saint-Cloud (78)Vendredi 10 Mars 2023
Théâtre d’Angoulême (16)Jeudi 6 Avril 2023
Théâtre d’Agen (47)
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