Clément Hervieu-Léger, sociétaire de la Comédie Française propose avec Place de la République une petite forme sur celles et ceux qui nous manquent. Comment vivent-ils en nous ? Un dialogue intimiste à l’interprétation remarquable.
C’est au Paradis, petite salle nichée tout en haut du bâtiment du théâtre du Lucernaire, juste sous les toits, que Clément Hervieu-Léger présente sa dernière création, Place de la République. Au Paradis que la proximité entre scène et salle d’un nid de théâtre permet de développer un jeu, tout en nuances subtiles qui fait sans doute l’intérêt majeur de cette dernière création de la compagnie des Petits-Champs. Au Paradis enfin que l’on se plaît à imaginer ceux qui nous ont quittés, comme on dit en euphémisant des disparus qui peuplent ce spectacle, consacré plus largement, il faut le dire, à celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, mais pas forcément par la mort, passent dans nos vies.
Mais c’est bien Place de la République que se déroule l’action de ce spectacle éponyme : la rencontre entre une jeune femme – Juliette Léger – qui attend on ne sait quoi, on ne sait qui, sur un banc public, et un homme plus âgé – Daniel San Pedro – qui pour premier geste la photographie. Elle ne s’offusque pas. Ils lient conversation. Dans la relation qui s’engage, aucun réalisme, aucune question de séduction non plus. La partition écrite par Clément Hervieu-Léger se joue avec délicatesse des lieux communs narratifs. Il faut dire que les deux personnages sont tournés vers leurs disparus, ceux qui ont traversé leur vie et y ont déposé leur absence. Tegento pour lui, Anne pour elle, notamment. Deux amitiés puissantes – qu’est-ce qui les sépare de l’amour ? – dont les récits structurent la pièce. Une première partie pour lui, une deuxième pour elle. Un intermède musical dansé entre les deux sur la très belle musique Veridis Quo de Daft Punk.
Lui est doux, délicat, bienveillant, bel homme aux tempes grisonnantes, élégance sobre dans la voix et les gestes. Elle, plus urbaine, blonde en jean, un paquet de clopes dans le sac à dos, qui raconte sa jeunesse en compagnie d’Anne à battre le pavé des manifestations qui souvent partent ou aboutissent sur la fameuse place. Ils dialoguent, se racontent ces histoires qui les ont marqués, ces êtres qui sont passés, sont morts, disparus ou, tout simplement, et littéralement, les ont quittés. Les souvenirs qu’ils en gardent, les traces qu’ils ont laissées, et et le manque, le vide. Ils rejouent même ensemble le passé. C’est un théâtre sans conflit, sans opposition, tissé d’accords en mélancolie mineure, qui ne descendent jamais d’un ton, qui invite également à parcourir la gamme des sentiments qui peuvent se développer entre les êtres, les fantômes qui nous habitent et ceux que l’on peut devenir pour les autres.
Rien de révolutionnaire dans ces douces évocations. La trame d’un monde ouvert au monde et à la plasticité des sentiments, la musique douce d’un univers sucré qui tourne parfois un peu monotone. Mais l’incarnation de Juliette Léger et Daniel San Pedro vaut à elle seule le détour. Toute en suspens, en contre-pieds, jamais naturaliste mais n’évitant pas pour autant le sentiment. Pile dans l’entre-deux de ces êtres à mi-chemin entre l’autre et eux-mêmes, qui se livrent et restent en retenue, entre univers intérieur et paysage extérieur, entre le réel et l’imaginaire. Une interprétation malicieuse comme l’écriture de Clément Hervieu Léger qui sait ouvrir au théâtre cet espace qu’il est comme nul autre art capable d’occuper, fait de traversées et de passages secrets entre le code et l’imitation du réel, à la lisière et sur un fil qui lui sert de frontière.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Place de la République
Texte et mise en scène Clément Hervieu-Léger
Scénographie Aurélie Maestre
Costumes Caroline de Vivaise
Lumières Alban Sauvé
Avec Juliette Léger et Daniel San Pedro
Production La Compagnie des Petits Champs
La Compagnie des Petits Champs est conventionnée par la Drac Normandie –Ministère de la Culture et de la Communication, la Région Normandie, le Département de l’Eure, l’Intercom de Bernay-Terre de Normandie.Durée 1h10
Théâtre du Lucernaire – Paris
Du mercredi 15 mai au dimanche 30 juin 2024
Du mercredi au samedi à 19h
Les dimanches à 15h30
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