Directrice du Théâtre de la Reine blanche et physicienne de formation, l’autrice Élisabeth Bouchaud signe L’Affaire Rosalind Franklin. Troisième épisode de sa série consacrée aux femmes scientifiques invisibilisées, la pièce est montée avec efficacité par la metteuse en scène Julie Timmerman.
Après Exil intérieur (consacré à Lise Meitner, physicienne connue pour ses travaux sur la radioactivité et la physique nucléaire) et Prix No’Bell (racontant l’histoire de Jocelyn Bell, astrophysicienne ayant notamment découvert le premier pulsar, ce qui valut le prix Nobel à … son directeur de thèse), Élisabeth Bouchaud prolonge sa série théâtrale dédiée aux femmes scientifiques. Ce travail de salubrité publique, en ce qu’il permet d’approcher les sciences par le théâtre tout en abordant des enjeux féministes, se penche pour ce troisième opus sur la vie de Rosalind Franklin. Les recherches de cette physico-chimiste née à Londres en 1920 et décédée prématurément en 1958 furent essentielles pour la compréhension de la structure de l’ADN. Mais elles furent, comme pour Meitner et Bell, accaparées par des chercheurs qui bénéficièrent de la renommée d’une découverte impossible sans les recherches de Franklin. C’est cela, « l’affaire » que Julie Timmerman met en scène dans un dispositif aussi économe qu’efficace.
L’Affaire Rosalind Franklin débute par un discours. Celui du physicien Vittorio Luzzati et prononcé plusieurs années après la mort de celle qui fut son amie et collègue. Ouvrant (et clôturant) le spectacle, cette prise de parole inaugurale permet de mettre succinctement le public au parfum du pillage dont fut victime la scientifique. L’histoire qui suit déplie ensuite à un rythme enlevé, avec seulement quelques petits meubles et accessoires ainsi qu’avec des projections sur un écran situé en fond de scène, ce qui se joua entre 1950 et 1952. Interprété par trois comédiens et une comédienne dirigés avec rigueur, le spectacle débute, donc, en 1950, lorsque Rosalind Franklin est encore en France. La scientifique, qui fait partie du laboratoire de Jacques Meiring au CNRS, décide de partir pour l’Angleterre. On l’y retrouve en 1951 où elle a rejoint le King’s College de Londres. C’est là qu’elle se plonge dans l’analyse de la structure de l’ADN et va, peaufinant ses outils de prise de photos obtenues par diffraction des rayons X, réaliser avec son élève Raymond Gosling une image essentielle dans l’histoire des sciences du vivant : le cliché 51 qui permet, par sa précision, de saisir que la structure de l’ADN se présente sous la forme d’une double hélice.
Dans une succession de séquences toutes assez brèves, les comédiens nous donnent à voir les difficultés de Franklin face à un champ professionnel masculin comme les avancées de sa recherche. S’il y a quelque chose de haletant à suivre cette histoire écrite comme le serait un polar, il y a, également, une frustration face à certaines facilités d’écriture. Faisant le choix – a priori louable – de vulgariser les sciences et le parcours d’une femme scientifique dont le travail fut invisibilisé, Élisabeth Bouchaud penche parfois vers la simplification. Les protagonistes, notamment masculins, sont brossés à grands traits et deviennent aisément des figures un brin caricaturales. Citons Maurice Wilkins ou James Watson. Tandis que le premier est présenté comme un collègue énamouré de Franklin citant Shakespeare à chaque prise de parole, le second ne brille que par sa fourberie, son ambition et ses approximations. Si l’on n’a guère d’empathie pour ce chercheur de Cambridge qui (avec son collègue Francis Crick), révélera la structure en double hélice de l’ADN – « découverte » qui leur vaudra à tous les deux une grande renommée et un prix Nobel en 1962, l’écriture force le trait là où ce n’est pas nécessaire. À trop vouloir faire œuvre d’accessibilité ; à trop rechercher l’adhésion du public ; à marteler l’opposition entre des hommes obnubilés par la compétition et une femme motivée par le désir de la connaissance ; la pièce tend à se laisser prendre dans un manichéisme appauvrissant le propos.
Pour autant, en dépit de ces facilités d’écritures dramatiques, le spectacle emporte. Par la direction d’acteurs au cordeau, par l’interprétation maîtrisée des comédiens (et traversée de pointes d’humour sans excès), par la proposition formelle de mise en scène. Certes modestes, les artifices scéniques signalent avec intelligence les différents espaces, les multiples étapes de la recherche. Quand au travail vidéo – qui pourrait être exploité encore plus avant –, il permet d’approcher même lointainement la complexité de ces recherches scientifiques, tout en donnant à voir le choix d’une scientifique de s’y plonger totalement. Fut-ce au péril de sa vie, Rosalind Franklin étant décédée d’un cancer des ovaires possiblement déclenché par son exposition aux radiations lors de ses recherches …
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
L’affaire Rosalind Franklin
TEXTE=Elisabeth Bouchaud
MISE EN SCÈNE=Julie Timmerman
SCÉNOGRAPHIE=Luca Antonucci
ASSISTANAT MISE EN SCÈNE + CHORÉGRAPHIE=Véronique Bret
LUMIÈRES=Philippe Sazerat
ave Isis Ravel, Balthazar Gouzou, Matila Malliarakis, Julien GallixProduction : Reine Blanche Productions
Durée 1h
Théâtre de la Reine Blanche
du 7 mai au 9 juin 2024, à 19h du mardi au vendredi
18h le samedi
16h le dimancheOff 2024
Théâtre de la Reine Blanche Avignon
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