Programmée dans le Festival Off d’Avignon, Ma Séraphine narre l’incroyable relation entre une femme de ménage devenue peintre de génie et un marchand d’art allemand et homosexuel.
L’histoire de l’art regorge d’exemples de femmes dont le travail a été invisibilisé. En voici un énième. À l’espace Roseau-Teinturiers, à Avignon, Ma Séraphine narre l’histoire de Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis, femme de ménage et peintre autodidacte à ses heures perdues. Dans la riche maison qu’elle entretient, certaines de ses toiles habillent les murs comme le ferait une vulgaire tapisserie ou un simple miroir. L’œuvre de Séraphine, jusqu’alors confinée au loisir, prend une tout autre dimension lorsque, à l’occasion d’un dîner organisé par ses employeurs, le marchand d’art et collectionneur allemand Wilhelm Uhde repère son talent, comparant déjà ses toiles à celles de Van Gogh.
Très vite, une relation se noue entre ces deux êtres que tout oppose – leur manière de parler et de s’habiller, leur niveau d’instruction, leur capital économique… –, formant le fil conducteur de ce spectacle écrit par le galeriste Patrice Trigano. Ce dernier, subjugué par le talent de la peintre alors qu’il était encore étudiant, s’empare de cette remarquable histoire, et en raconte les ressorts à travers le point de vue de Wilhelm Uhde. Complices sur scène, Marie-Bénédicte Roy et Laurent Charpentier incarnent chacun avec justesse ce fascinant duo ; l’une donnant toute l’énergie et la sagacité nécessaires pour jouer une artiste caractérielle recluse dans son monde, l’autre la candeur et l’assurance de l’esthète allemand.
La première partie du spectacle s’attache à sonder les ressorts d’une relation empreinte de tendresse, avant d’installer le drame qui s’annonce. Celui du basculement du monde et du naufrage de Séraphine et Wilhelm. La guerre frappe et sépare les deux êtres, les plongeant chacun de leur côté dans les méandres de l’exclusion. Privé de ses biens et de sa raison d’être par le régime nazi en raison de son homosexualité et de ses écrits jugés « dégénérés », Wilhelm perd une grande partie de sa collection d’œuvres d’art et de sa fortune. L’homme est ainsi contraint de cesser son mécénat auprès de Séraphine. Laquelle sombre inéluctablement dans la démence. Marie-Bénédicte Roy donne toute l’épaisseur nécessaire au personnage Séraphine, traduisant sans faiblir les accès de folie et les interminables délires de l’artiste de génie.
Aperçue récemment sur les planches du Lucernaire avec son spectacle Marée haute, Josiane Pinson signe la mise en scène de cette pièce et parvient à créer avec peu de moyens une atmosphère enveloppante, immergeant sans détour le public dans l’atelier de Séraphine, dans la cellule d’un asile ou dans un intérieur bourgeois. S’il est d’emblée question d’art, il faut attendre la toute fin du spectacle pour se rendre compte du talent de l’artiste – le reste du temps son chevalet est dos au public –, et prendre alors la pleine mesure du destin, aussi extraordinaire que tragique, de cette femme partie du plus bas de l’échelle sociale pour tutoyer les plus grands peintres en quelques années seulement.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Ma Séraphine
Texte Patrice Trigano
Mise en scène Josiane Pinson
Avec Marie-Bénédicte Roy, Laurent Charpentier
Scénographe Edouard Dossetto
Création lumière Anne Bigou
Création Sonore Stéphane Corbin
Assistante mise en scène Anne-Laure Maudet
Voix Michel EliasProduction Compagnie CINETHEACT
Durée : 1h20
Festival Off d’Avignon 2023
Espace Roseau-Teinturiers
du 7 au 29 juillet, à 18h35 (relâche les 11, 18 et 25)
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