Unissant leurs forces le temps d’un week-end, Sens interdits et le Mois Kréyol ont fait entendre la diversité des cultures créoles et porté les luttes actuelles de ces territoires, telle celle liée au scandale du chlordécone.
L’un, Sens interdits, se déroule pour sa huitième édition à Lyon et dans la métropole lyonnaise du 14 au 28 octobre 2023. L’autre, le Mois Kréyol, essaime pour la septième année du 8 octobre au 25 novembre un peu partout dans l’Hexagone (Paris, Île-de-France, Toulouse, Mulhouse, Strasbourg, Martigues, etc.), avant d’investir la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane en janvier 2024. Ces deux festivals, porté pour le premier par Patrick Penot, pour le second par la compagnie Difé Kako (emmenée par la chorégraphe, danseuse et directrice artistique Chantal Loïal), ont fait front commun le week-end du 21 et 22 octobre. Sens interdits a, en effet, imaginé en collaboration avec le Mois Kréyol un temps fort ultramarin dans sa programmation. Outre des spectacles (Fòs a kaz la de Myriam Baldus et Géraldine Bénichou, Kisa mi lé de Daniel Léocadie, Poto-mitan(s) de Maroussia Pourpoint et Joséphine2b de Chantal Loïal), une « journée Créoles, langues et diversités » s’est déployée le samedi, proposant des conversations et rencontres avec les artistes, un repas créole, ainsi qu’un atelier de danses et chants réunissant adultes et enfants.
Et parmi les formes proposées, la question des créoles, de la diversité des langues et voix des Caraïbes, a résonné à plusieurs reprises. Cet enjeu, qui guide la septième édition du Mois Kréyol (ainsi intitulé An ka palé kréyol – je parle créole ) s’est déplié sous plusieurs formes. Citons la rencontre « Cultures, les langues et la terre – Résistance contre les stéréotypes » qui a réuni les artistes Kaïnana Ramadani (originaire de la Réunion), Chantal Loïal (originaire de Guadeloupe), Maroussia Pourpoint (originaire de Martinique), l’écrivaine Estelle Sarah Bulle (originaire de Guadeloupe) et l’artiste Azani V. Ebengou. En évoquant leurs travaux respectifs, ces artistes, qu’elles soient comédienne, metteuse en scène, chorégraphe ou autrice, sont revenues sur les assignations qu’elles ont pu subir ou qu’elles subissent, assignations à un imaginaire sexiste, raciste et colonial. Et comment à travers leur travail elles affrontent ces stéréotypes, les déconstruisent. Un geste qui passe bien souvent par la réappropriation de son histoire, de sa culture, par le questionnement de ses identités et la mise en œuvre de stratégies de résistances – autant de mouvements qui architecturent par ailleurs le projet de Sens interdits depuis ses débuts …
Autant d’éléments, également, condensés dans Joséphine2B. Ce spectacle porté par quatre interprètes, la chorégraphe Chantal Loïal en a conçu plusieurs versions. Destiné à être présenté dans des lieux non-théâtraux et accessibles à un public jeune, Joséphine2b aborde le scandale du chlordécone. Cet insecticide utilisé dans les bananeraies afin de lutter contre le charançon du bananier constitue un véritable scandale sanitaire : alors qu’il est interdit aux États-Unis dès 1977, le chlordécone continue d’être utilisé dans les Antilles françaises par dérogation jusqu’en 1993 (tout en étant également interdit dans l’Hexagone à partir de 1990). Polluant les sols et les rivières, ce pesticide cancérigène a fait des dégâts tant au niveau environnemental que sanitaire. Mais le chlordécone n’est pas le seul axe de Josephine2b, en ce que son usage constitue un symptôme : symptôme de la domination des hommes sur leur environnement, symptôme de la permanence de pratiques coloniales, la monoculture intensive de la banane étant étroitement liée à la colonisation.
Alternant danses, chants et jeux, les quatre artistes nous embarquent dans un récit où l’on croise Joséphine de Beauharnais, première épouse de Napoléon Bonaparte et fille d’un planteur martiniquais (associée de par son histoire à celles des colonies et de l’esclavage) ; Joséphine Baker, artiste noire qui en étant la seule à rencontrer un immense succès en Europe et au-delà, a subi une exotisation et un racisme permanents ; les luttes des afro-descendants ; les spécificités culturelles propres notamment aux différentes Antilles, etc. Joué au plus près du public sous le chapiteau de Sens interdits, recourant à quelques accessoires modestes signifiant un jardin créole, Joséphine2b entremêle les époques, les références, les langues créoles et fait avec vivacité et intelligence œuvre de pédagogie. L’articulation de ces faits historiques passés comme contemporains à la richesse des répertoires musicaux et chorégraphiques se donne également comme un message de mobilisation : et loin de toute apathie ou résignation, Chantal Loïal et son équipe invitent à se saisir de cette histoire complexe pour porter les luttes à venir.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Joséphine2b
Chorégraphe Chantal Loïal
Assistantes chorégraphiques Delphine Bachacou et Julie Sicher Auteur des textes en créole Igo DranéInterprètes en alternance Delphine Bachacou, Emilie Bergamaschi, Mariama Diedhiou, Thierry Galand, Edmé Djaka, Stéphane Mackowiak, Ludivine Mirre, Julie Sicher, Yann Villageois
Costumière Camille Loreille
Avec le soutien du Ministère des Outre-mer, Ministère de la Culture, la Caisse des dépôts et consignations, le Ministère de l’Education Nationale, la Collectivité Territoriale de Martinique, la Région Guadeloupe, le Conseil Général de Guadeloupe, la DAC Guadeloupe, la DAC Martinique, la DAC Guyane
Avec le soutien (accueils studio) de La Place de la Danse CDCN Toulouse Occitanie, CCN Roubaix Hauts-de-France, Centre de la danse Pierre-Doussaint Les Mureaux, Maison des Arts de Créteil, Le Mandapa.
Durée 1h
Festival Sens Interdits
Chapiteau, place des Célestins
Samedi 21 oct – 14h
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