Jean-Michel Rabeux signe au Théâtre de la Bastille, sa deuxième mise en scène d’un texte de Claudine Galea après Au Bord en 2014. Dans Un sentiment de vie, l’autrice évoque son enfance avec ses parents. Le spectacle est une réussite qui tient à l’alchimie d’un duo attachant et à la musicalité d’une adaptation radicale.
On pourrait être chez David Lynch, perdu dans les limbes d’un inconscient torturé. Une lumière cendrée baigne un plateau quasiment nu. En fond de scène, un homme en redingote court, apeuré, dans une montagne enneigée ; son image, filmée au ralenti, est projetée sur un écran de tulle. À droite, ce même homme se tient là, devant nous, inerte est inexpressif, une canne à la main. Tandis qu’à gauche, une femme, la petite soixantaine, cheveux gris coupés courts, se masse les tempes, assise sur une chaise. Cette femme est autrice. Elle s’appelle Claudine Galea. Elle prend la parole et commence par citer des écrivains allemands – Falk Richter, Georg Büchner, Lenz… -, sans que l’on comprenne précisément où elle veut en venir. Mais, grâce à la littérature, elle parvient à aborder le sujet qui la taraude : ses parents, ce couple si mal assorti. Sa mère était communiste, antimilitariste et violente ; son père, réac, militaire et affectueux. Il y aura le récit de son enfance passée dans l’Algérie coloniale, le désamour maternel et la déchéance paternelle. Claudine Galea accompagnera son père, rongé par le cancer, jusqu’à la mort. Il y aura aussi et surtout la difficulté à lui témoigner de l’amour, même après sa disparition. Et la musique des crooners américains, qui, heureusement, leur permettait de communiquer.
Si le texte, construit sur les méandres d’une pensée sinueuse, est étrange ; la mise en scène de Jean-Michel Rabeux l’est encore davantage à cause de son dépouillement, sa morbidité et sa langueur inhabituelle. Un certain temps d’adaptation est nécessaire pour que l’oreille trouve ses repères. Tout, ici, se joue dans la cadence des mots et la scansion des comédiens. La diction de Claude Degliame, dans la peau de l’autrice, est d’une précision d’horloger. Avec une présence digne d’une chanteuse punk, bravade et magnétique, elle fait entendre la douleur des non-dits qui se transmettent de génération en génération. Nicolas Martel, qui incarne à peu près tous les autres personnages sans se départir de sa redingote, anime le plateau avec ses interprétations de Frank Sinatra et son jeu de guitare minimaliste, exclusivement rythmique. La réussite de ce spectacle tient à la direction de ce duo, étrangement dépareillé, mais diablement attachant. Quelques longueurs sont à déplorer – à la fin de la pièce surtout – mais l’ensemble reste d’une radicalité réjouissante.
Igor Hansen-Love – www.sceneweb.fr
Un sentiment de vie
Texte Claudine Galea (Editions Espaces34)
Mise en scène Jean-Michel Rabeux
Avec Claude Degliame, Nicolas Martel
Lumières Jean-Claude Fonkenel
Costumes Sophie Hampe
Assistanat à la mise en scène Sophie Rousseau
Production La Compagnie
Coproduction La Compagnie, Théâtre de la Bastille – ParisAvec l’Aide à la création de la Région Île-de-France
Du 27 septembre au 15 octobre 2021 à 19h au Théâtre de la Bastille
(relâche les dimanches et le jeudi 23 sept)
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