Un an après sa dernière pièce présentée au Lycée Saint-Joseph, le chorégraphe investit la Cour d’honneur du Palais des Papes et intensifie encore l’ampleur nouvelle d’un geste désireux de travailler le groupe à grande échelle. Traversée d’une vivacité bouillonnante, mais aussi d’inquiétudes inhérentes à l’état du monde, FUTUR PROCHE se veut aussi jubilatoire qu’interrogateur sur l’avenir et le besoin d’action.
On retrouve dans FUTUR PROCHE le fier métal du clavecin contemporain comme la force du groupe au diapason de cet instrument entêtant, deux éléments déjà présents dans any attempt will end in crushed bodies and shattered bones, la dernière création de Jan Martens présentée au Festival d’Avignon en 2021. En signant coup sur coup deux pièces de facture apparemment semblable, l’artiste aurait pu céder au risque de se répéter. Il n’en est rien, heureusement. Le danseur et chorégraphe irrigue son œuvre de multiples questionnements et signe des tableaux très différents, toujours inspirés par une profonde affirmation de la présence physique et de la conscience politique.
Longtemps habitué à des formes intimistes, qu’elles soient en solo (Ode to the Attempt), en duo (Victor) ou en trio, Jan Martens confirme désormais l’habileté avec laquelle il sait orchestrer des œuvres de plus grande envergure. Pour la première fois, il ne dirige pas sa propre compagnie, mais celle de l’Opera Ballet Vlaanderen, de formation classique. Sur un banc en bois qui occupe quasiment toute la longueur de la scène, les dix-sept danseurs s’installent, patientent, entre concentration et décontraction. Comme un miroir tendu au public, ils regardent droit devant, dans l’attente d’une chose à advenir dont ils vont être les actants. Dès ce prélude, s’affiche une nette volonté de gommer l’académisme du corps de ballet dont les interprètes paraissent, habillés en simples vêtements de sport, dans une totale horizontalité et dépourvus de toute uniformité.
Individuellement et collectivement, ces beaux artistes s’élancent dans le vaste espace de la Cour d’honneur, qu’ils occupent en quasi totalité, et sur laquelle ils font généreusement souffler une liberté, une légèreté, une inventivité, tout cela avec une endurance effrénée – l’une des marques de fabrique du chorégraphe – et un plaisir non dissimulé. Silhouettes graciles aux mouvements tantôt éoliens, tantôt géométriques, ils font circuler la gestuelle de Martens, parfois nerveuse et joueuse, souple et tendue, toujours rigoureusement structurée, très à l’écoute de l’écriture tranchante et pulsative de la musique jouée en direct par la Polonaise Goska Isphording.
Les corps ouverts, déliés, se forment en blocs qui se rencontrent et se recomposent à l’occasion d’une marche syncopée évoluant vers la course virevoltante. Ils s’abandonnent à un large manège d’une frénésie et d’une jubilation survoltées. Le deuxième mouvement se fait aussi envoûtant et étourdissant qu’une pièce de la chorégraphe américaine Lucinda Childs à qui Martens emprunte, en le réactualisant, le procédé de la vidéo en direct permettant de reproduire de façon maximale les mouvements des corps sur le haut mur en pierre de la Cour d’honneur.
Enfin, une nuit éternelle s’abat alors sur le Palais des papes trouée de déflagrations sonores et d’angoissants hurlements. Elle s’offre comme la triste métaphore d’une imminente extinction. Les danseurs portent des seaux remplis d’eau bientôt transvasée dans un grand bac noir où, par petits groupes, ils se livrent à ce qui semble être un rituel baptismal pour tenter de conjurer le sort déclinant de notre civilisation et dire l’état d’attente et de suspens dans lequel nous nous trouvons face à demain.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
FUTUR PROCHE
Chorégraphie Jan Martens
Avec Zoë Ashe-Browne, Viktor Banka, Tiemen Bormans, Claudio Cangialosi, Morgana Cappellari, Brent Daneels, Matt Foley, Misako Kato, Nicola Leahey, Ester Pérez, Taichi Sakai, Niharika Senapati, Paul Vickers, James Vu Anh Pham, Rune Verbilt, Kirsten Wicklund, et, en alternance, les enfants Merel Amandt, Gaiane Caforio, Caroline Gratkowksi et Elodie Grunewad
Musique Peteris Vasks, Janco Verduin, Anna Sigríður Þorvaldsdóttir, Erkki Salmenhaara, Graciane Finzi, Aleksandra Gryka
Clavecin Goska Isphording
Scénographie Joris van Oosterwijk
Lumière Elke Verachtert
Vidéo Stijn Pauwels
Son Brecht Beuselinck
Costumes Jan Martens, Joris van Oosterwijk
Son Brecht Beuselinck
Dramaturgie Tom Swaak
Répétitions de danse Tara Jade Samaya
Conseils artistiques Rudi Meulemans, Marc Vanrunxt, Carolina Maciel de FrançaProduction Opera Ballet Vlaanderen
Coproduction Festival d’Avignon
Avec le soutien de GRIP, François Ryelandt pour le clavecinJan Martens est artiste associé d’Opera Ballet Vlaanderen.
Durée : 1h30
Festival d’Avignon 2022
Cour d’honneur du Palais des Papes
du 19 au 24 juilletDE SINGEL, Anvers
du 23 septembre au 1er octobreVlaamse Opera Gent, Gand
du 18 au 26 novembreCultuurhuis de Warande, Turnhout
le 21 avril 2023Théâtre de la Ville, Paris
du 26 au 28 avrilConcertgebouw Brugge
le 10 mai
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