Il aura 70 ans en août, c’est l’un des plus grands comédiens français, et jamais Jacques Weber en 50 ans de carrière n’a joué au Festival d’Avignon. Il a pourtant croisé sur sa route de grands metteurs en scène de Peter Stein à Hans-Peter Cloos en passant par Alain Françon, Roger Planchon ou Jean-Pierre Vincent. Pascal Rambert lui donne enfin cette chance avec Architecture qui va ouvrir la 73e édition dans la Cour d’honneur.
Il a fallu attendre attendre 50 ans de carrière pour que vous puissiez jouer au Festival d’Avignon. L’attente n’a pas été trop longue ?
Il n’est jamais trop tard ! J’ai pu dire des choses assez bêtes sur le Festival à un certain moment, que c’était la grenouille qui voulait devenir le bœuf, j’étais en plus très agoraphobe et puis j’avais trouvé que la Cour d’honneur avait grandi trop vite. Les toutes premières jauges de Vilar étaient intimistes, et puis cela a grandi sans moyen technique pour que l’acteur puisse jouer confortablement. Je sais que le jeu est inconfortable, que le risque fait partie de la matière vivante du théâtre. Mais ça me gênait. Il se trouve que c’est toujours très grand mais que l’ingéniosité et le talent d’André Serré qui a sonorisé la salle nous permet d’être un peu plus sûr de nous. Et puis je n’ai pas pu résister au désir qu’avait Pascal Rambert de travailler avec moi. Cela m’a fait foncer aveuglément. J’ai une admiration sans borne pour ses pièces et pour les acteurs qu’il embarque avec lui. Et quand je vois comment je suis entouré par cette génération merveilleuse et comment je me mélange dans cette troupe, c’est magnifique.
Vous vous sentez bien dans cette bande ?
Oui, c’est le bon terme. Comme je dit à ma femme : « J’ai l’impression de vivre dans un bonheur complet ». Etre dans cette bande, c’est extraordinaire. Toute l’équipe de la costumière à la régie est d’un niveau exceptionnel. La philosophe Simone Weil disait cette chose très simple: « La gentillesse est la noblesse de l’intelligence ». Cette troupe est noble. On a un cœur d’enfants et de sages qui nous donnent de la force et de la poésie baroque face au monde. On peut se révolter joyeusement au théâtre. Le théâtre est une nounou qui donne son sein au monde.
Vous incarnez le père de cette famille, le patriarche et vous avez la lourde tache de débuter le spectacle avec un monologue. Est ce que cela vous fait peur ?
C’est ce qui me terrifie ! Mais en même temps lorsque vous êtres prêt du bonheur, c’est terrifiant. C’est un cadeau de démarrer un création importante avec un texte aussi magnifique dans ce lieu où il y a des fantômes et où il y a des dieux et des anges qui se baladent. Avec ce public diversifié qui aime le théâtre, qui est prêt à sortir, à gueuler, à s’exprimer, et d’être le premier à poser le pied et le mot, c’est du bonheur. J’espère que je serai à la hauteur et que le trac va pas me tétaniser.
Cette famille d’intellectuels ne voit pas venir les catastrophes de la 2e guerre mondiale. Peux-t-on faire un parallèle avec l’Europe d’aujourd’hui ?
On est totalement sans arrêt en ricochet avec notre propre époque. Dans cette société patriarcale, quelque chose se fissure et s’effondre. La déconstruction de la famille correspond au fait que le Monde a loupé son architecture, ses bases se sont fragilisées. Mon rôle représente le vieux Monde. Il y a beaucoup de douleur dans le corps de cet homme qui découverte sur le tard l’amour pour ses enfants. Il est passé à côté de sa vie, et je sais de quoi je parle. J’ai 70 ans, je suis plus prêt de la fin que du début. Au moment où on constate l’échec du monde, c’est là où on découvre la beauté de la vie. J’espère garder la maîtrise, la petite philosophie à hauteur d’homme pour garder mon calme et avoir la distance nécessaire pour bien maîtriser mon rôle. Pascal m’a offert un pur sang.
Comment fait-on pour interpréter du Rambert, un texte sans ponctuation ?
C’est ce qu’il y a de plus réjouissant. Ça vous oblige à trouver les soubresauts de cette écriture et sa spirale baroque. C’est à vous d’aller les dénicher avec votre petit coup de crayon. Je n’ai jamais fait cela avec les classiques. Le jeu qu’il nous propose est intéressant, ce n’est pas simple. Il nous met dans une ambiance frénétique, il faut parfois freiner et trouver la juste mesure. Il faut explorer jusqu’au bout et presser le texte dans sa sauvagerie. Une fois que l’on a donné chair et sang à ce texte on est récompensé car on a faire à un poète dramaturge. Une pièce aussi poétique est plus importante qu’un discours politique. Cela fait partie des petits îlots d’espoir qui nous permettent de penser qu’un jour cela pourrait aller un petit mieux.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Quel acteur! c’est juste, concret et crédible. C’est beau. Pour moi la plus belle scène de cette pièce est le dialogue amoureux entre Marie-Sophie, incroyable comédienne, assise sur sa chaise roulante et Jacques.