Le metteur en scène belge Ivo van Hove se confronte pour la première fois à la Cour d’honneur du Festival d’Avignon. Avec la troupe de la Comédie-Française, il présente « Les Damnés » d’après le scénario de Visconti qui a servi de base à son film. Un évènement car cela fait 23 ans que la troupe n’avait pas joué au Festival. Rencontre avec le metteur en scène, très serein avant les représentations.
Le public du festival attend avec impatience votre version des « Damnés » car la venue de la Comédie-Française est un évènement. Dans quel état êtes-vous ? Serein ? Anxieux ?
Je suis toujours tranquille parce que je fais tout mon possible avec les acteurs et l’équipe artistique. Je suis détendu mais aussi conscient de la pression. Mais cela ne vaut pas la peine d’être stressé. On est prêt !
Votre spectacle l’avez-vous conçu d’abord pour la Cour d’honneur ou pour la salle Richelieu ?
Pour la Cour d’honneur mais on a déjà pensé à Richelieu. Quand on joue dans la Cour il faut réfléchir à cet espace mythique et politique mais c’est aussi un lieu intime. J’ai vu beaucoup de spectacles qui ont fonctionné et d’autres qui n’ont pas marché ! Avec Jan Versweyveld, le scénographe, on est venu hors saison pour voir la scène vide, sans le plateau. On a immédiatement décidé de l’horizontalité comme principe de base. On ne touche pas au mur. J’espère que cela sera la bonne décision pour ce spectacle sombre, sans beaucoup d’espoir, que je souhaite le plus humain possible.
L’horizontalité c’était aussi la façon dont Jean Vilar utilisait la Cour.
Je ne le savais pas mais j’ai vu le magnifique Hamlet de Patrice Chéreau qui a fait la même chose. Je crois que c’est la meilleure solution.
Vous n’avez pas voulu revoir le film de Luchino Visconti.
Je l’ai vu quand j’étais jeune. Ce n’est pas ma première adaptation d’un de ses scénarios. J’ai fait Rocco et ses frères à Amsterdam et Ludwig à Munich et l’année prochaine j’ai un projet pour monter son premier film Ossessione avec Jude Law. Le texte suffit pour m’inspirer car il résonne aujourd’hui. J’ai conservé les images fortes du film dans un coin de mon cerveau.
C’est l’histoire d’une famille d’industriels dans l’Allemagne nazie. Aujourd’hui on constate la montée des mouvements populistes. Est ce que l’on va faire le parallèle entre l’Allemagne des années 40 et l’Europe de 2016 ?
Ce sera au spectateur de se faire sa propre idée. Mais aujourd’hui le compromis politique avec les idées populistes est inquiétant. On l’a vu en Angleterre avec Boris Johnson qui n’est pas contre l’Europe au fond de lui, mais il participe à une bataille pour le pouvoir avec David Cameron. Mais c’est le cas aussi pour les intellectuels. Et c’était le cas du temps d’Hitler. C’est flagrant dans le spectacle. La famille Essenbeck est très puissante et elle fait alliance avec le régime nazi et pourtant elle le déteste. Mais ils font un compromis uniquement pour gagner de l’argent. Et pendant les répétitions on a découvert autre chose avec ce texte autour de la personnalités des deux fils (Martin et Günther) qui sont apolitiques au début du spectacle et deviennent des nazis, pas par conviction idéologique, mais par la haine. Ils sont manipulés par Aschenbach, le vrai fasciste. Et cela m’a fait pensé à tous ces jeunes qui massacrent des innocents dans les rues à Paris, à Bruxelles, à Istanbul. Ils ne sont pas guidés par le religion. Ils sont frustrés dans nos sociétés. Ce sont des loups solitaires qui ne sont pas acceptés par la société et qui se vengent sur nous.
Vous parliez d’intimité, sur le plateau il y a deux caméramans pour capter des moments d’intimités grâce à la vidéo.
C’est un moyen pour le spectateur d’être très proche des acteurs. Je n’utilise pas tout le temps les caméras. Je ne l’avais pas fait dans Vu du Pont. C’est un outil pour capter des émotions et pour donner de l’information historique car Visconti dans le texte fait référence à Dachau, à l’incendie du Reichtag et aux autodafés. Je voulais montrer ces moments importants de l’Histoire. Il y a une phrase très belle dans la scène de l’espoir de Herbert Thallman. Il dit: « Je suis revenu parce qu’il faut que quelqu’un le sache. » C’est très important pour moi de monter avant tout la barbarie de ces être humains.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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