Sujets avait, en 2018, secoué Montpellier Danse. Nuit marque le retour de Sylvain Huc à Montpellier . Entretien avec le chorégraphe.
De ses études sur « les représentations du corps, de la sexualité et ses implications politiques dans la cité grecque » à la danse contemporaine, Sylvain Huc n’aura fait que déplacer ses interrogations sur le corps vers la pratique, le mouvement et le plateau. « Mais de mon point de vue, je poursuis depuis une même enquête avec d’autres indices, d’autres outils » .
Vous évoquez plutôt « l’usage des corps » que la danse.
C’est un point de vue très personnel et qui tient à mon parcours. La manière que j’ai de me tenir vis-à-vis de la danse, de ce mot-là, de cette action est bien particulière. Faire usage d’une chose, c’est se donner à cette chose. Originellement, cette notion d’usage dessinait en Grèce classique la manière de situer le sujet dans l’action. Par exemple, éprouver de la nostalgie se dit faire usage du retour. Participer à la vie politique se dit faire usage de la cité. Ce n’est ni actif, ni passif. Danser, c’est être à mon sens uniquement actif. Or, dans l’usage du corps, en agissant, en effectuant une action, j’en suis affecté moi-même. C’est cette relation « avec », cette relation qui m’affecte, qui me fait et me constitue en retour. Faire usage du corps, et cela voudrait dire l’affection que l’on reçoit en tant qu’on a un rapport avec des corps, c’est une politique des moyens et non de la fin. Faire usage, inventer des usages du corps, c’est une manière de désœuvrer la danse, la soustraire à sa fonction. Et c’est cette poésie du corps qui m’intéresse. Je terminerai en reprenant cette phrase d’Hölderlin, « le libre usage du propre est la chose la plus difficile .
Nuit entre en résonance avec notre époque post-confinée – où clubbing et free party sont bannis.
En effet, nous avons collectivement été privé de cette temporalité de la nuit. Le confinement et le couvre-feu sont venus interrompre nos vies nocturnes pour limiter nos existences au travail et à la reconstitution de nos forces de travail. Ainsi, l’absence de nuit révèle pour moi une réduction extrême de l’existence qui se limite à une pure gestion de nos vies. Répéter ce projet dans ces conditions était donc un processus étrange. À la fois temps de travail et de labeur, et à la fois temps de création d’images et de sensations qui nous manquent terriblement. Cet écart entre une nuit qui cherche à se préserver d’un féroce appétit libéral et celle qui est toujours plus un prolongement du jour en fait un champ de tension. La nuit devient plus que jamais un temps de production, d’information, de communication, de consommation. Quel est donc l’imaginaire de la nuit qui résiste ? Sans m’intéresser directement à des pratiques sociales de la fête, du clubbing, du monde de la nuit, c’est plutôt un rapport au temps, au désœuvrement qui m’attire. Ce sont ainsi des mots, des sensations qui se sont imposées : le flou, l’indistinct, le temps suspendu, la répétition, l’expérience foncièrement sensible et a-philosophique de cette temporalité. J’y ai donc vu un potentiel physique infini à explorer. La nuit est cet espace de repli et d’extraction par rapport à la publicité du jour, un lieu salutaire dans un monde qui fait courir le risque d’une exposition permanente. La nuit, les hommes veillent pour ne plus être surveillés nous dit Mickael Foessel. Et force est de constater que, tout comme les réactions de l’église lors de l’épidémie de danse à Strasbourg en 1518, tout comme les réactions du gouvernement anglais lors des premières free parties dans les années 90, la politique est une opération sur les corps et sur la vie. Cette pandémie nous le montre sans ambiguïtés .
Vous évoquez un paysage de présences. Pourquoi ?
La notion de paysage me passionne. La contemplation d’un paysage nous fait paysage. Qu’est-ce alors qu’un paysage de corps ? De sons ? De lumières ? Comment le regard de celle ou celui qui regarde compose ce qu’il voit ? Au cœur de ce regard, je préfère donc y déposer des présences et non une identité qui est la partie la plus pauvre de soi. Les présences ce sont ces forces anonymes qui nous portent. Elles sont une « opacité » à laquelle je tiens. La présence ne trouve pas son origine au point de rencontre d’une singularité et de la vérité, mais en ce lieu incertain du corps. Ce paysage est ainsi fait de ces « entre ». Et non d’une essence, substance où je ne sais quoi. Et la nuit met exactement en jeu nos sensations et nos perceptions de cette manière-là. Quels sont les rapports entre ce que je perçois et ce que je sens ? Qu’est-ce qui se compose entre les corps et leur environnement ? Je vois dans cette notion de paysage le lieu de l’écriture. Et son désœuvrement .
Après une saison entre confinement et crise, quel est le plus pressant pour une jeune compagnie comme la vôtre ?
Je suis plutôt confus. Paradoxalement, cette mise à l’arrêt du secteur a accéléré une frénésie de productions, de restitutions, de reports, de re-programmations, d’injonctions à être présent et visible à tout prix. Pour ma part, j’ai hâte de me remettre au travail et à ce qui en constitue le cœur : la recherche et l’écriture des corps. C’est ce lien à ma propre pratique qu’il m’importe de retrouver .
Propos recueillis par Philippe Noisette – www.sceneweb.fr
Nuit Conception, Chorégraphie Sylvain Huc
Interprétation Lucas Bassereau, Mathilde Olivares, Gwendal Raymond
Montpellier Danse, Théâtre de la Vignette, du 30 juin au 2 juillet 2021
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