Itmahrag a été créé en janvier en huis clos dans le cadre du Festival « Les Vagamondes » de La Filature de Mulhouse. Le spectacle reprend sa tournée à la Biennale de la danse de Lyon. Le chorégraphe Olivier Dubois qui vit depuis 15 ans entre Le Caire et Paris, importe en France ce style musical, un mélange de rap et de musique arabe, que l’on danse dans les mariages et dans la rue en Egypte. Pour son spectacle qui s’appelle « Itmahrag », il a réuni 7 jeunes danseurs et musiciens venus du Caire et d’Alexandrie.
Quand a débuté cette aventure ?
En 2014 quand j’ai vu poindre ce nouveau courant musical puisque j’habite entre Paris et Le Caire depuis 15 ans. Je l’ai observé, j’ai attendu qu’il grandisse. Et il y a un an et demi j’ai eu envie de franchir le pas et de travailler avec cette matière musicale et d’aller à la rencontre d’artistes égyptiens, là où je vis.
Comment avez-vous rencontré ces jeunes artistes ?
Tout simplement par des auditions. En Egypte, on appelle cela des rencontres, car le milieu de la danse n’est pas aussi fourni qu’en France. On a d’abord commencé par rencontrer les musiciens et les chanteurs, puis les danseurs. Le Mahraganat se joue dans les mariages, dans la rue et dans des petits concerts. C’est la musique la plus écoutée en Egypte et dans le moyen orient, donc il y a beaucoup de musiciens, de chanteurs et de compositeurs. On a sélectionné ceux qui avaient les capacités et le désir de partager cette aventure avec nous. Pour les danseurs, cela a été très ouvert, avec ceux qui dansent dans la rue ou dans les mariages. Ce sont tous des artistes en herbe, j’avais très envie de participer à leur construction artistique, de me perdre, de trouver une nouvelle manière de créer, de dialoguer. En imaginant bien que le savoir-faire et la technicité ne pouvaient pas s’appliquer avec eux, et qu’il fallait tout réinventer. Il y a donc 4 interprètes danseurs et 3 musiciens-compositeurs. Ce sont des performeurs. Tout le monde fait tout sur le plateau.
Que signifie le titre ?
Il est totalement inventé, c’est un néologisme. Mahraganat veut dire « festivals ». Et le néologisme signifie « Et si on célébrait ». « Viens festoyer ». « Viens célébrer ».
S’agit-il d’une photographie de la jeunesse égyptienne ?
C’est une photographie en mouvement de cette jeunesse du monde qui hurle. C’est tout le propre de cette musique saturée, auto-tunée, il n’y aucun espace libre pour l’oreille. Tout est pris d’assaut. Il y a ce cri sourd que l’on veut pas entendre. Cette musique est très décriée, elle est considérée vulgaire, non respectueuse de la culture égyptienne. Cette jeunesse hurle et elle ne peut pas être entendue. C’est le point commun entre les artistes et le jeunesse : on a envie d’un nouveau monde.
Ce style musical est-t-il en danger ? Ces jeunes risquent-ils de se faire interdire ?
Le Mahraganat est désormais interdit par les autorités égyptiennes. A partir du moment où vous parlez de drogue, de sexe, de politique et de religion, cela ne marche pas. Et le Mahraganat ne parle que de cela. De manière assez frontale et directe. Les concerts ont doncété interdits. Le Mahraganat existe toute de même dans les mariages et dans les fêtes. Car cela va être difficile de l’empêcher d’exister, et de ralentir ce courant, donc cela produit chez cette jeunesse un désir encore plus fort de chanter.
C’est aussi la rencontre avec l’univers musical du compositeur François Caffenne
Exactement. On ne fait pas sur scène le Mahraganat traditionnel, comme la danse des couteaux car je n’ai pas cette culture là. Donc on a créé un hybride de cette rencontre. Il a fallu un an pour composer la musique. François a passé du temps en Egypte pour que rien ne soit imposé et que le mariage des deux cultures soit accepté par tout le monde.
Etant donné le contexte sanitaire dans le monde, il n’a pas été facile de les faire venir en France ?
Cela a été un long parcours. On a d’abord travaillé pendant un an en Egypte, avec deux mois très intensifs entre Alexandrie et Le Caire. Un premier groupe est arrivé fin décembre, il a fallu attendre trois semaines le second, pour que l’équipe soit reconstituée. Et aujourd’hui, c’est une mise sous silence qui nous est imposée. Notre responsabilité d’artistes, ici à La Filature et vis à vis de nos partenaires, a été de décider de jouer le spectacle en live et en numérique, pour un soir seulement, en attendant notre tournée. On est épuisé mais on est content d’avoir cette première à Mulhouse.
Comment avez-vous écrit le spectacle. Etes-vous parti de leurs histoires ?
Oui, je travaille beaucoup en amont. Il y a d’abord la connaissance que j’ai du pays, je leur ai transmis toutes mes questions sur cette jeunesse. Je les ai amené dans des chemins de réflexion, pour réinventer jusqu’au dernier moment au plateau. L’échange a été constant, et on va affiner tous les jours. Je ne suis pas jeune, ils le sont mais on doit partager les mêmes choses sur la scène. Je dois leur transmettre cette illusion qu’est le théâtre.
Ils ont un vingtaine d’année, il y a dix ans, ce sont leurs pères, leurs grands frères qui étaient sur la place Tahir. Comment vivent-ils leur jeunesse ?
C’est la génération désabusée. Elle a la révolution dans ses gènes, elle porte en elle la désillusion. Mais l’espoir est là, même s’il est difficile à tenir. Etre artiste en Egypte, c’est difficile comme décision de vie. Je ne vais jamais sur le terrain politique car je suis un artiste, mais les visions démocratiques européennes ne sont pas les mêmes que les leurs, donc cela rend la réalité difficile.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Talaa / طلعة from COD – Compagnie Olivier Dubois on Vimeo.
1er, 2 & 3 juin 2021 Biennale de la danse de Lyon 2021
7, 8 & 9 juillet 2021 Festival de Marseille 2021
12 & 13 juillet 2021 JuliDans Festival, Amsterdam
16, 17 & 18 Juillet 2021 Festival Paris l’Été, Paris
1er octobre 2021 Les Halles de Schaerbeek, Bruxelles
5 & 6 octobre 2021 RomaEuropa Festival, Rome
Octobre 2021 DCAF Festival, Égypte
Novembre 2021 Festival euro-scene Leipzig, Germany
Interview intéressante !