Nicolas Royer a pris la direction de l’Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône le 2 janvier 2020, succédant à Philippe Buquet, quelques semaines avant le début du premier confinement. Il a très vite adapté son projet à la situation sanitaire, en créant notamment l’opération « Trop Classe ». Pendant une semaine, des élèves d’une école primaire viennent suivre des cours et des ateliers avec leur professeur.e, et un artiste membre du vivier de l’Espace des Arts.
Alors que depuis des mois, vous ne recevez plus de public pour assister à des spectacles, vous avez ouvert vos portes à la jeunesse. Quel est le but de « Trop Classe » ?
L’axe de la jeunesse m’a paru évident dans la crise que nous vivons. Et cette maison, un peu vieille déjà, l’Espace des Arts, a 50 ans cette année, elle a été inaugurée en 1971 et a été appropriée au fil des années par plein d’habitants. Ils sont restés fidèles, ils ont grandi avec nous, ils ont été jeunes. Il faut que le jeunesse d’aujourd’hui continue d’y venir. Ce n’est pas simple d’entrer à l’Espace des Arts ou dans un lieu de théâtre quand on ne le connait pas. C’est l’idée de cette classe permanente, de faire que la jeunesse sur un territoire puisse vivre une expérience d’une semaine comme une classe de mer ou une classe de neige. Et ça marche. Ces mômes jouent à cache-cache dans nos espaces, dans les coulisses, dans les loges, derrière les rideaux. C’est cela aussi la magie du spectacle. Et même en période de pandémie, ces jeunes vivent un moment inoubliable. Et j’espère que lorsqu’ils iront s’installer dans n’importe quelle ville, s’il y a un théâtre, ils auront la curiosité de passer la porte, de prendre un programme, d’aller voir un spectacle, et de vivre une aventure humaine.
La situation sanitaire a-t-elle accéléré votre volonté de sortir l’institution culturelle hors de ses murs ?
Cela a presque été une chance. J’avais déposé un projet fondé sur l’ouverture du territoire, un projet de partage. J’avais bien conscience qu’il fallait qu’un nouveau public s’approprie cet espace. Et dans les interstices de cette pandémie, on a pu développer ce que je n’aurais peut-être pas pu faire avec la même énergie, de créer la rencontre avec les artistes dans une situation difficile. On a eu cette vitalité de jouer dans les Ehpad et de provoquer cette rencontre avec le monde de l’Education nationale qui nous a guidés depuis le mois de septembre, en créant un festival de danse dans les lycées, et puis la possibilité qui nous a été donnée par la sous-préfecture de pouvoir accueillir les scolaires dans le bâtiment. Ce sont ces hétérotopies chères à Foucault qui nous ont guidés et qui ont donné corps à ce projet.
L’opération a-t-elle été facile à monter ?
On a réussi à créer un monde où il est plus facile d’avoir des financements pour une classe de neige que pour une classe culture. C’est hallucinant. Jack Lang avait créé plus 20 000 « classes à projet artistique et culturel », les classe PAC, et puis tout ça s’est effrité. On est passé au consumérisme avec la classe transplantée et on s’est aperçu qu’il n’y avait plus de financement pour la classe culture. Il a fallu tricoter avec l’Education nationale, avec la DRAC et avec le volontarisme très fort de l’Espace des Arts puisque l’on finance 60% de ces classes théâtre.
Quelle a été l’idée maîtresse du projet ?
Le travail sur l’oralité. Il me semblait que l’Education nationale travaillait beaucoup sur l’écrit et que l’oralité était oubliée, et notre art théâtral permet cela, de donner la parole à celui qui ne sait pas parler. Et on l’observe dans les groupes que l’on reçoit, que des jeunes parlent grâce au jeu et c’est très émouvant. Le regard de l’instituteur sur l’élève a changé et cela ouvre les possibles.
La thématique choisie cette semaine est l’égalité fille-garçon. Vous mettez au cœur du projet un thématique sociétale sensible.
Elle est fondamentale. On a la chance de pouvoir s’appuyer sur le spectacle Renversante de Léna Bréban d’après le texte de Florence Hinckel avec Antoine Prud’homme de la Boussinière qui est comédien et cette semaine l’intervenant à côté de l’enseignante Aude Collignon. Le département de Saône-et-Loire s’est approprié ce projet jeunesse. Il a acheté 150 dates de cette création qui se joue pour toutes les classes de 5e dans le département depuis le mois de février. Nous sommes l’un des rares théâtres de France à avoir autant de dates de tournée maintenues malgré le nouveau confinement. Il a fallu convaincre chaque établissement. Et le spectacle provoque des débats passionnants, preuve que le sujet n’est pas résolu.
Vous maintenez une forte présence sur le terrain de l’éducation artistique et culturelle, mais vous maintenez aussi la présence d’artistes en résidence à l’Espace des Arts. Matthias Langhoff est venu répéter ici Corps Étranger de Manfred Karge.
J’ai eu la chance de beaucoup échanger avec Matthias Langhoff qui a tout de suite senti que la pandémie allait durer dans le temps, mais que l’art ne devait pas s’arrêter et que les œuvres devaient se frictionner entre elles, même si elles ne peuvent pas rencontrer de public. On continue de s’engager dans ce travail de création aussi avec Marcel Bozonnet, avec beaucoup de compagnies régionales, pour que ces 14 000 m2 au cœur d’une ville de 45 000 habitants continue de vivre. Cette question de l’essentiel n’a jamais existé ici, on libère les imaginaires et on continue l’art.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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