Elle n’ira pas au bout de son deuxième mandat de directrice du Théâtre National de Nice, comme nous vous l’annoncions en octobre. Elle quittera son poste de directrice en juin 2019. Esquissant une contradiction entre le travail artistique et celui de direction, Irina Brook explique les raisons très personnelles de ce départ anticipé.
L’annonce de votre départ, un an après votre renouvellement à la tête du TNN a surpris, comment l’expliquez-vous ?
Les durées officielles ne sont pas les durées organiques. A la fin de mon premier mandat, je me sentais déjà prête à partir. J’ai essayé mais je n’ai pas réussi. Après cinq ans d’une extrême dévotion à ma tâche, j’étais affectée physiquement et mentalement. En quelque sorte, je pars pour sauver ma peau.
Diriger un CDN est donc si éprouvant ?
En souhaitant prendre la direction d’un CDN, je me plaçais vraiment dans la lignée de Vilar, d’un théâtre populaire qu’on cherche à ouvrir à tous. Et pour mener cette mission, il faut la foi et une énergie débordante. Aujourd’hui, je suis à bout de souffle, j’ai besoin de me renouveler, de me ressourcer. De me consacrer à la dimension sociale de la mission m’a enlevé ma créativité. A me passionner pour la raison d’être de ces bâtiments, j’en ai oublié l’artiste en moi.
« Arrêter le théâtre complètement ?»
Diriger un CDN est pourtant censé aider les artistes dans leur travail de création ?
Je le sais. Pendant ces années, on m’a répété que le CDN devait être un outil pour moi. D’autres y trouvent leur compte et je ne veux pas entrer dans les polémiques autour de cette question. Il s’agit d’une expérience personnelle et subjective. Mais, pour moi, j’insiste bien, être directrice, ça ne se marie pas avec artiste. D’aller tous les jours au même endroit par exemple, moi qui ne suis jamais restée deux ans dans un même lieu. Et d’avoir un travail qui me place au-dessus des autres, alors que comme artiste, j’ai besoin de me fondre avec les autres dans une relation d’égalité. C’est sûr que je ne serai plus jamais directrice de quoi que ce soit.
Quels sont vos projets ?
On m’en a prêté beaucoup, des rumeurs et des erreurs. En prenant cette décision, je n’avais aucun plan B. En réalité, aujourd’hui, une partie de moi voudrait arrêter le théâtre complètement.Parce que dans le théâtre, ce qui me passionne le plus c’est de le prendre comme un outil de transformation sociale. Si bien que j’ai l’impression que ce que je fais n’est pas assez artistique. Je veux chercher d’autres formes – la littérature, l’art conceptuel, le cinéma par exemple. A Carros, près de Nice, je vais fonder une résidence d’artistes que je partagerai avec d’autres artistes. Je n’y serai pas conseillère culturelle comme on a pu l’écrire. Et je vais réfléchir aussi, partir au Japon, regarder la mer et écrire. C’est une incroyable chose d’avoir eu cette expérience au TNN. Elle m’a aussi poussé face au vide. Et ça m’excite beaucoup.
Propos recueillis par Eric Demey – www.sceneweb.fr
Bravo Madame, vous êtes une des vraies VILARDienne qui reste. Beaucoup d’autres qui s’en réclament sans vergogne ne se servent de la scène que pour étaler leur ego surdimensionné ! Comme comédienne et spectatrice cela m’a souvent dégouté!