David Bobée qui met en scène Elephant Man aux Folies Bergères avec Béatrice Dalle et Joey Starr, Thomas Jolly qui conduira en 2020 la reprise du mythique Starmania à la Seine musicale, ce sont deux directeurs de CDN, ces emblèmes du théâtre public, qui coup sur coup, dans l’exercice de leurs fonctions, portent des projets dans le privé. Au moment où David Bobée propose une version resserrée de son spectacle, toujours aux Folies Bergères, nous avons voulu interroger ce que ces initiatives dessinent comme nouveaux rapports entre les traditionnels frères ennemis du théâtre français. Premières explications avec David Bobée, directeur du CDN de Normandie-Rouen, à suivre lundi celles de Thomas Jolly, futur directeur du CDN Le Quai à Angers.
Comment a été reçue cette initiative d’Elephant Man par le monde du théâtre public ?
J’ai senti à certaines critiques des journalistes sur le spectacle qu’il y avait un problème. J’accepte naturellement les critiques, mais elles étaient inhabituellement vigoureuses. Et puis, j’ai aussi constaté l’absence de beaucoup de mes collègues qui ne sont pas venus voir le spectacle. J’ai bien senti que cette initiative dérangeait la caste.
Le comprenez-vous ?
Extérieurement, évidemment, ça peut questionner qu’un directeur de CDN aille faire une production dans le privé. Après, cette notion de privé est très floue. Certes, il y a la question de la salle que loue le producteur. Mais ce producteur indépendant, lui, ne se sera pas fait d’argent avec ce projet. Personnellement, je ne veux pas me retrouver à me justifier. Je comprends que ça interroge. Mais je n’ai aucun problème éthique avec ça.
Comment est né ce projet ?
Ce n’est pas la première fois que des producteurs privés me font des propositions. Mais là, j’ai accepté notamment parce qu’il y a eu l’idée de faire monter Didier Morville (NDLR : véritable nom de Joey Starr) sur scène. Didier, pour moi, représente beaucoup. C’est un symbole politique et social, un exemple de transfuge social, qui collait parfaitement à la figure d’Elephant Man. Parce que pour moi, c’est quelqu’un qu’on a obligé à se construire comme monstre. Et c’est bien plus ça que la figure de la star qui m’intéresse.
Il y a des pratiques qui posent beaucoup plus de questions
Sa présence sur scène rentre quand même dans les stratégies de tête d’affiche du privé ?
Bien sûr, et la présence d’une tête d’affiche était la condition sine qua non du projet. Mais Didier Morville n’est pas une starlette, c’est un véritable symbole social. Et sa présence me permet aussi de faire venir un public bien plus diversifié que d’habitude. Le producteur d’ailleurs paye une employée qui s’occupe chaque soir de faire venir gratuitement une centaine de jeunes du 9.3. Après, cela fait longtemps que je travaille avec Béatrice Dalle, on sait ce qui les a unis avec Didier. C’était naturel de les mettre ensemble sur scène.
Financièrement, comment la production s’est-elle faite ?
Le CDN de Rouen, où la pièce a été créée a engagé 60000 euros. Ce qui est un montant modeste dans une production du CDN. Surtout vu l’ampleur du projet. L’intervention d’un producteur privé m’a donc permis de moins gréver le budget de création du lieu. Pour les représentations aux Folies Bergères, les recettes vont au producteur, qui loue la salle. Mais j’espère bien que ce spectacle tournera dans le réseau public. Ce serait un problème si de l’argent public allait enrichir quelques-uns. Ce n’est pas le cas ici. Il y a des pratiques qui posent beaucoup plus de questions que celle-ci.
Lesquelles ?
Je ne suis pas là pour balancer et chacun fait comme il peut. Mais il faut en finir avec l’hypocrisie. A Avignon, par exemple, on voit beaucoup de compagnies qui utilisent l’argent public pour louer des salles. Ou encore des lieux qui ne sont pas repérés comme privés et qui pratiquent du partage de recettes. Ou encore des spectacles du public qui tournent ensuite dans le privé. Et je ne pense pas à Pommerat, car pour le coup, les producteurs ne se sont pas faits d’argent.
La question éthique prime
Comment redéfinir les relations entre le privé et le public ?
Il y a toujours eu une porosité entre les deux. On ne peut pas avoir une pensée hors-sol qui sépare les deux. Au cirque par exemple, ça arrive souvent de mélanger les financements. Et puis, je ne vois pas trop la différence entre un producteur privé et l’argent du mécénat qu’on va chercher. Quand au CDN de Rouen, on démarche les entreprises, c’est comme pour Elephant Man, l’idée est la même : aller chercher de nouveaux publics.
Quels repères, quelles limites poser dans ce rapprochement?
Pour Elephant Man, on ne m’a rien imposé sur l’esthétique, j’étais absolument libre. La question éthique pour moi prime. A savoir qu’il faut toujours continuer à se demander si on est dans une démarche d’enrichissement des publics et de la pensée.
Propos recueillis par Eric Demey
D’un point de vue de spectateur, le prix des places aux Folies Bergères, on en parle ?