Le Grand Palais ferme ce week-end avant travaux pour une réouverture pour les Jeux Olympiques en 2024. Il devait y avoir une grande fête autour du chorégraphe Boris Charmatz dans le cadre de son portrait que lui consacre le Festival d’Automne à Paris. Elle devait rassembler plusieurs milliers de spectateurs. Avec la fermeture des lieux culturels au public, le danseur a tout de même décidé de la maintenir à huis-clos. La Ronde sera captée et diffusée sur France 5, le 12 mars à 20h50, accompagnée d’un documentaire sur la conception du projet, qui a connu de nombreux rebondissements du fait de la pandémie. Sous la verrière vide du Grand Palais, le chorégraphe nous a expliqué la genèse de ce spectacle.
Vous achevez le portrait que le Festival d’Automne vous a consacré, un portrait particulier amputé par la fermeture des théâtres. Vous vous souviendrez longtemps de cette période !
On s’en souviendra tous très longtemps. Mais on a quand même eu un peu de chance. J’ai pu danser à Bruxelles et à Lille pendant l’été. Puis en septembre et octobre, on a pu sauver par un « miracle laïque » quelques représentations à Bobigny avec La Ruée, au Châtelet avec 20 danseurs pour le 20e siècle, au Centre National de la Danse et à Nanterre-Amandiers. Et puis cela s’est refermé jusqu’à aujourd’hui, demain et vraisemblablement après-demain. Certains spectacles du Festival d’Automne seront reprogrammés. J’espère pouvoir danser 10 000 gestes à la fin du printemps dans l’herbe à Chaillot.
Le Grand Palais va fermer. Vous deviez prendre la clé et fermer la porte devant des milliers de spectateurs avec cette Ronde qui se déroulera mais de manière dématérialisée.
C’est comme si on avait la clé dans la main et qu’on l’avait avalée. Donc plus personne ne peut rentrer ! On a décidé de jouer quand même. On n’a plus que le temps du couvre-feu mais on danse quand même. Avec les 20 danseurs, on fait cette ronde de duos infinis, et on danse pendant 11 heures d’affilée. Il n’y a pas de public, mais on le fait quand même. Il n’y aurait pas eu les caméras, je l’aurai tout de même proposé aux danseurs car on l’a préparé depuis tellement longtemps. Mais j’aurais tellement aimé qu’il y ait des milliers de spectateurs autour de nous. C’est déjà très beau d’avoir pu passer une semaine ensemble à travailler dans ce lieu majestueux.
Pourquoi La Ronde, pourquoi la nouvelle d’Arthur Schnitzler ?
Le Grand Palais a ouvert en 1900. La Ronde est publiée à compte d’auteur la même année. Et cela fait longtemps que je voulais travailler sur des duos et que je ne trouvais pas l’idée. La ronde c’est un système, c’est comme si vous et moi on faisait un duo, puis on est rejoint par quelqu’un d’autre, et ainsi de suite. C’est une chaîne de duos, une chaîne humaine. C’est l’enfermement du couple. On y parle de sexualité. Mais c’est le couple ouvert. La Ronde se déroule en 1900, la syphilis se transmettait à l’époque. Aujourd’hui la pandémie est tout autre, mais le risque de transmission existe. On l’assume pour l’art. Il y a une scène de La Ronde jouée par Marlène Saldana et Johan Leysen qui est reprise et improvisée mais sinon on ne met pas en scène le texte de Schnitzler. On s’inspire du processus avec ces duos qui se bouclent pendant 11 heures.
Qui sont les artistes qui vous entourent ?
Il y a des duos inventés, des duos historiques, des duos issus du répertoire de la compagnie, des duos improvisés. Il y a des acteurs de la compagnie de l’Oiseau-Mouche de Roubaix. On s’inspire d’Amour de Haneke avec Johan Leysen et Sigrid Vinks, je danse avec Anne Teresa De Keersmaeker, il y a Raphaëlle Delaunay et Asha Thomas qui font un duo inspiré des danses noires américaines. C’est un peu le grand huit, on a du krump, du Forsythe. On passe par des paysages très différents qui ont tous trait au désir, à l’intimité, à l’amour sublimé ou pas. Cela peut être très cru ou très perché. Le temps de la boucle dure 3h30, et on la fait trois fois.
Le projet a-t-il évolué cette année ?
Oui on a décidé de le changer pendant le premier confinement. Je me disais : on vit une tempête qui malmène nos désirs, on va danser le désir et y consacrer du temps.
Dans les théâtres, il y a les servantes qui ne s’éteignent jamais, votre Ronde, c’est un peu la servante de la danse ?
C’est effectivement une servante chorégraphique. On la fait 11 heures mais j’aimerais la danser pendant 48 heures… Ici c’est pendant tout le temps imparti par le couvre-feu. Je sais que c’est très lourd, mais j’aimerais que cela dure trois mois. Que ce soit comme une exposition au Palais de Tokyo pendant un mois, le duo infini, le baiser infini, le couple infini…
Stéphane CAPRON – www.sceenweb.fr
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