Il y a un an, le Haut-Rhin était le premier département à prendre des mesures exceptionnelles pour contenir l’épidémie de Covid-19 avec la fermeture de tous les établissements scolaires, et l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes en milieu clos. Le CDN la Comédie de Colmar et la Scène Nationale La Filature ont été les deux premiers théâtres à fermer leurs portes, un mois avant les autres. Benoît André avait pris ses fonctions à la tête de La Filature début janvier 2020. Il revient sur cette première année de direction, bien particulière.
Le 6 mars 2020, comment avez-vous été mis au courant de la fermeture de La Filature ?
L’information nous parvient d’abord par les médias, annonçant que les rassemblements de plus de 50 personnes sont interdits dans le département, suite au rassemblement évangélique de février qui a provoqué la flambée de l’épidémie. Puis très vite sont arrivés les échanges avec la sous-préfecture et la ville, qui ont été ensuite des interlocuteurs très réguliers. La Filature étant le plus gros établissement culturel de la ville, il a fallu que nous soyons très coordonnés.
Et le soir, vous aviez un spectacle ?
Oui le 6 mars, j’ai dû descendre au grand plateau pour annoncer à l’équipe du Père de Julien Gosselin, qui avait monté le décor, qui était en plein réglage lumière, on n’attendait plus que le comédien Laurent Sauvage qui était en chemin entre l’hôtel et le théâtre, que nous n’allions pas jouer.
Comment se sont déroulés les jours suivants ?
La réelle violence de l’épidémie sur la ville a fait peser un état de sidération. Je découvrais la ville, j’avais pris mes fonctions de directeur début janvier. Je garde en mémoire ce silence. Et j’ai l’impression pour en avoir discuté avec d’autres collègues en France, que cela n’a pas été aussi puissant chez eux. Et je me souviens du passage obsédant des hélicoptères dans le ciel silencieux de Mulhouse. Les habitants ont respecté scrupuleusement les règles pendant toute cette année. L’impact de la crise du printemps a marqué les esprits et il y a une forme de respect plus particulier que dans d’autres régions françaises.
Comment avez-vous maintenu votre activité pendant cette période ?
La vie dans le lieu ne s’est jamais arrêtée à la Filature, à part les quinze premiers jours du confinement de mars. Les activités ont continué. Il y avait plusieurs manières d’envisager les choses, tout d’abord en maintenant nos engagements vis à vis des intermittents du spectacle, en transformant les heures pour réaliser de la maintenance dans le théâtre, en réalisant des gros travaux que nous n’avons jamais le temps de faire. Il y a eu une dynamique forte avec les autres structures partenaires de La Filature, car la maison est le siège de résidence permanente de l’orchestre symphonique de Mulhouse et du ballet de l’Opéra national du Rhin. Ils ont pu prolonger leurs activités. L’orchestre a filmé les concerts qu’il ne pouvait plus donner en public. Le chorégraphe Bruno Bouché, qui travaillait à la création des Ailes du désir, a pu répéter sur le grand plateau de manière très confortable.
Comment avez-vous renoué avec le public ?
C’était la réflexion la plus compliquée. Cette logique de stop and go, où l’on ne sait jamais à quel moment les choses peuvent redémarrer, fait que les équipes s’essoufflent. On a fait le choix d’être parmi les premiers à rouvrir dès la fin du mois de juin avec des concerts de l’orchestre, avec le Théâtre du Centaure en juillet. Et on a proposé aux mulhousien.n.es de prendre la parole et de mettre sur le papier ce qu’ils avaient traversé. Ce sont ces Lettres à ma ville, une transposition de ce qui avait été imaginé par Christopher Crimes, le premier directeur de La Filature en 1993, avec Lambert Wilson. Là, j’ai demandé à Abd al Malik, alsacien, de porter ces lettres en ouverture de la saison 2020/2021. Et puis cet été, on a inauguré une micro-folie nomade avec des spectacles d’Olivier Letellier.
La Covid-19 a-t-elle transformé le projet que vous aviez imaginé ?
Elle l’a renforcé. Un des enjeux principaux était de rentrer en lien avec des publics qui ne fréquentent pas le lieu. Mulhouse est une ancienne ville textile et le cœur de la ville est habité par des personnes qui ont le moins de ressources, les plus aisés vivant à la périphérie. C’est l’inverse des grandes villes françaises. La crise de la Covid-19 ne fait que renforcer mon désir de faire venir le public qui ne vient pas à La Filature et nous donne de nouveaux outils pour toucher ce public. On l’a bien vu en maintenant en janvier le festival Les Vagamondes, en maintenant une programmation numérique, nous avons touché un public beaucoup large que d’habitude.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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