Isabelle Nanty est à l’origine de la mise en scène de « L’Hôtel du Libre-Échange » de George Feydeau à la Comédie-Française depuis la fin du mois de mai. Celle qui est aussi comédienne de théâtre, de télévision et de cinéma revient sur cette aventure qui marque la fin de sa carrière prolifique de metteure en scène.
Après la création de « L’Hôtel du Libre-Échange », qu’avez-vous à répondre à ceux qui se sont offusqués de vous voir invitée pour faire une mise en scène à la Comédie-Française ?
J’ignorais complètement qu’on avait pu penser une telle chose ! Depuis 1993, je ne lis plus ce qui est écrit sur moi, aucun écho de moi-même que ce soit dans la presse ou sur les réseaux sociaux. Je suis trop poreuse, aux compliments comme aux critiques négatives. Je suis moi-même très sévère vis-à-vis de moi et cela me suffit. Je peux comprendre qu’on ait pu être étonné de me voir invitée à la Comédie Française, je n’ai pas de plan de carrière, je vais là où on m’invite.
La question d’une « légitimité » a été soulevée.
J’ai beaucoup de mal à me sentir légitime depuis que j’ai commencé ce métier : j’ai raté deux fois le concours du CNSAD, du TNS et de l’ENSATT, deux fois aussi la classe libre du Cours Florent que j’ai eu du troisième coup. J’ai donc eu beaucoup de mal à me sentir autorisée à faire ce métier. Malgré tout, j’y suis et, pour préserver mon envie, je ne lis rien ! J’ai pris le parti de m’en foutre depuis longtemps.
C’est ce qui vous permet d’avoir un parcours si varié ?
Je ne sais pas, puisque je n’ai pas d’idée sur l’image de moi que je renvoie. Ce qui m’importe, c’est la rencontre. Que les personnes qui m’ont demandée de travailler avec elles, en l’occurrence Éric Ruf à la Comédie Française, et le public soient content, ainsi que les acteurs soient heureux.
Comment est venue l’idée de travailler sur ce texte ?
Éric Ruf m’a d’abord demandé de mettre en scène un conte, plutôt pour le jeune public au Studio-Théâtre. Puis, quelques jours après il me recontacte pour me dire qu’il préfère que l’on fasse L’Hôtel du Libre-Échange dans la salle Richelieu.
C’est votre première fois, mais auriez-vous déjà envie de renouveler l’expérience de la mise en scène à la Comédie Française ?
L’Hôtel du Libre-Échange est certainement ma dernière mise en scène. Cet exercice demande une énergie dont j’ai besoin aujourd’hui pour autre chose. J’ai eu la chance de rencontrer des gens très doués dans ma vie : Julie Ferrier, Danny Boon, Gad Elmaleh… J’ai donc pris ce travail à la Comédie Française comme un cadeau à rencontrer une belle troupe qui est un rouage d’une institution extraordinaire.
Vous n’aurez pas de regrets d’avoir fait cette mise en scène et pas une autre pour votre ultime création ?
J’ai une carrière bâtarde dans laquelle il n’y a pas de ligne. Ma seule certitude c’est d’avoir réussi mes rencontres. Quant à savoir si j’ai réussi mes mises en scène, je n’en sais rien. Mais comme dirait Lao-Tseu, ce n’est pas le but qui compte, c’est le chemin. J’avais déjà mis en scène Feydeau, et j’ai beaucoup mis en scène des auteurs de fin de siècle, notamment Tchekhov. Pour moi il y a un rapport entre les deux auteurs que j’ai voulu souligner ici, dans la noirceur des personnages notamment. Donc non, je n’ai pas de regrets.
Comment avez-vous choisi votre distribution ?
Je connaissais Michel Vuillermoz depuis longtemps. J’avais envie de le revoir dans ce registre là parce qu’il est très drôle. Puis j’ai eu la chance d’avoir toute la troupe qui est là, Florence Viala, Anne Kessler, Jérôme Pouly, Laurent Lafitte, Bakary Sangaré, Bruno Raffaelli et les jeunes de la troupe… Franchement, c’est une grande chance. Ils ont tous énormément de créativité et d’invention. J’étais intéressée par le fait qu’ils se sentent libre de pouvoir réaliser le fantasme qu’ils avaient du rôle, de pouvoir les accompagner là-dedans et de faire en sorte qu’ils ne s’entretuent pas et que tout le monde puisse exister ensemble.
Qu’est-ce qu’il est important de faire entendre dans cette pièce ?
Il y a quelque chose de très noir, qui provoque une sensation de malaise parce qu’elle met en scène la bourgeoisie. Ce qui est gênant dans la bourgeoisie ce n’est pas l’argent mais les pensées sous cellophane, toutes prêtes. Une façon de réfléchir pour chaque thème, c’est très angoissant. Le monde actuel est tenu par la bourgeoisie. D’un côté il y a cela, mais les sentiments qui les animent sont universels. Ce qui m’a intéressée aussi, c’est que les personnages sont moins méchants que dans les autres pièces de Feydeau. Ils sont moins sourds à l’autre, ils cherchent encore à se parler et à obtenir quelque chose de leur interlocuteur malgré le désarroi qui pointe. Quand j’ai lu « L’Hôtel du Libre-Échange », j’ai vu beaucoup d’enfance et d’adolescence, j’ai eu envie que le drôle vienne de l’humain.
On rigole énormément dans cette pièce, le public est hilare à chaque minute. Où est la désillusion, le désarroi que vous évoquez dans vos arguments de mise en scène ?
Le troisième acte entier est une désillusion. Dans le deuxième acte, il y a l’affranchissement d’être là, l’excitation que ressent Paillardin de pouvoir aller au bar sans rendre de compte, la situation adultérine entre Madame Paillardin et Pinglet, mais aussi l’excitation ressentie par les filles Mathieu de se retrouver dans ce lieu interlope, toutes sont des situations enfantines. Toute la société passe dans l’Hôtel du Libre-Échange. Ici, les gens échappent à un statut social dans lequel ils ont été enfermés très jeune. Alors, pour certain, c’est un dernier appel pour ne pas passer à côté de leur vie.
Propos recueillis par Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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