Sous la tendre et loufoque houlette de Michel Laubu, le Turak Théâtre continue dans Incertain Monsieur Tokbar de déployer son monde fait d’objets usés. Avec une poésie qui, contrairement à la mémoire du personnage éponyme, n’a rien perdu de sa vivacité.
Depuis sa création en 1985 par Michel Laubu, la Turakie ne cesse de s’enrichir de nouveaux espaces. De nouvelles trouvailles. Contrée imaginaire peuplée de créatures aux faces lunaires barrées de grands sourires, elle a ses rituels et ses mythes. Elle a ses modes qui passent et d’autres qui restent. Depuis peu, elle a aussi son glossaire, ou plutôt son « glossuairtok », que le fondateur du Turak Théâtre nous présente au début de Incertain Monsieur Tokbar. Après une vingtaine de créations, la compagnie qu’Émili Hufnagel codirige depuis quelques années avec lui s’est forgée tout un langage. Car, comme le dit le marionnettiste avant de s’effacer derrière ses créations aussi hybrides et originales que son vocable, « ce n’est pas parce qu’un pays n’existe pas qu’il ne faut pas en parler ».
Monsieur Tokbar est à l’image de la novlangue dont les rudiments nous sont offerts dans cette entrée en matières récupérées. En objets détournés. Il en est un même quasiment un symbole. Professeur d’histoire dont la mémoire flanche – ou « planche », chante-t-il en s’emparant d’un vieux violon recouvert de post-its – le bonhomme mis en mouvement par Michel Laubu mélange tout un tas de vieux récits. Il les encastre, les agglomère avec un plaisir évident. Pareil à celui que prennent les artistes de la compagnie à assembler un accordéon et un pédalier. À faire d’une jante en métal un casque de Napoléon, ou d’une tondeuse à gazon un char de guerre. En Turakie, Alzheimer et la mort qui rôde avec sa grande faux en bois ou en carton ne riment pas seulement avec tragédie. Elles autorisent aussi les associations les plus inattendues. Les plus surréalistes.
Comme tous les ressortissants de Turakie, où chaque individu est presque aussi isolé qu’une île, le personnage éponyme de Incertain Monsieur Tokbar affiche une gaieté d’autant plus résolue que les malheurs lui tombent dessus. À commencer par la panne de sa « motobylette ». Contre mauvaise fortune, Monsieur Tokbar ouvre son cœur. Au lieu de sillonner la Turakie en quête d’authentiques histoires, c’est en lui qu’il va chercher de quoi occuper ses journées. Dans ses souvenirs où Napoléon, Hannibal ou encore Neil Armstrong côtoient Don Quichotte et toutes sortes de fables personnelles. Ce qui le rapproche des artistes de Turak, dont chaque nouvelle création naît de la précédente. Dont chaque protagoniste est le fruit d’une reconfiguration de l’existant. Tout comme les musiques de Stravinsky, de Kodaly et de Bela Bartok, dont l’idée de « folklore imaginaire » a servi d’inspiration à Michel Laubu pour construire son spectacle. Pour bricoler sa rêverie.
Le coup de la panne, pour le Turak Théâtre, est en effet un pur prétexte à la bidouille et à la folie. S’il est un fil conducteur dans cette pièce, il n’est en effet en rien narratif. Il faut plutôt aller le chercher dans le rapport tendre et incongru entre les nombreux objets qui la composent, et dans celui qu’entretiennent les excellents manipulateurs – Charly Frénéa, Simon Giroud, Émili Hufnagel, Michel Laubu, Patrick Murys, Fred Soria – avec Monsieur Tokbar, ses étranges visiteurs et le beau et grand désordre de frigos et autres appareils qui l’entoure. De même que dans l’harmonie parfaite entre tout ce beau monde et les musiciens Fred Aurier, Pierrick Bacher, Noémi Boutin, Jeanne Crousaud, André Minvielle, Fred Roudet, dont certains sont aussi interprètes. Pour si bien faire du neuf avec de l’ancien, Michel Laubu et son équipe ont su une fois de plus trouver la manière juste d’articuler les nombreux savoirs-faires que nécessite leur univers semblable à nul autre.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Incertain Monsieur Tokbar
De Michel Laubu, Émili Hufnagel / Turak ThéâtreAvec : Charly Frénéa, Simon Giroud, Émili Hufnagel, Michel Laubu, Patrick Murys, Fred Soria
Scénographie : Michel Laubu
Dramaturgie : Olivia Burton
Avec les visites complices d’Eléonore Briganti et d’Olivier Dutilloy pendant les répétitions
Lumière : Ludovic Micoud-Terraud
Répétitrice : Caroline Cybula
Compositeurs : Fred Aurier, Pierrick Bacher, Béla Bartók, Zoltán Kodály, André Minvielle
Musiciens, interprètes : Fred Aurier, Pierrick Bacher, Noémi Boutin, Jeanne Crousaud, André Minvielle, Fred Roudet
Construction masques, marionnettes : Géraldine Bonneton, Emmeline Beaussier, Audrey Vermont
Construction des décors : les ateliers de la Maison de la Culture de Bourges et de la MC2-Grenoble
Accessoires : Pierrick Bacher, Charly Frénéa, Simon Marozzi, Joseph Paillard, Fred Soria Costumes : Émili Hufnagel et l’atelier des Célestins – Théâtre de Lyon
Films d’animation : Pierrick Bacher, Patricia Lecoq, Timothy Marozzi, Joseph Paillard, Géraldine ZanlonghiProduction : Turak Théâtre
Coproduction : MC2: Grenoble, La Comédie de Saint-Étienne – Centre dramatique national, Célestins – Théâtre de Lyon, Bonlieu – Scène nationale Annecy, Le Bateau Feu – Scène nationale de Dunkerque, Théâtre de l’Archipel – Scène nationale de Perpignan, Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières, Espace Malraux – Scène nationale de Chambéry, Théâtre de Bourg-en-Bresse, Théâtre d’Aurillac, ACB – Scène nationale Bar-le-Duc, Festival RenaissanceS – Bar-le-Duc
Avec le soutien de la SPEDIDAMDurée : 1h15
Théâtre des Célestins – Lyon
Du 27 novembre au 1er décembre 2018Théâtre Molière – Sète
Les 14 et 15 décembre 2018Théâtre de Roanne
Le 16 janvier 2019Bonlieu – Annecy
Du 12 au 14 février 2019Bateau Feu – Dunkerque
Le 28 février et le 1er mars 2019 aThéâtre du Nord – Lille
Du 12 au 16 mars 2019Théâtre de Bourg en Bresse
Les 9 et 10 avril 2019L’Archipel – Perpignan
Les 19 et 20 avril 2019Théâtre des Bergeries – Noisy-le-sec (Biennale Internationale des Arts de la Marionnette)
Le 18 mai 2019Comédie de Saint Etienne
Du 21 au 23 mai 2019
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