Les Chiens de Navarre peinent à se réinventer un style. I will survive, sur fond de violences faites aux femmes et de réflexion sur l’humour, hésite entre le rire et le sérieux, mais ne se fait convaincant dans aucune des deux directions. La mue artistique de Jean-Christophe Meurisse reste inaboutie.
C’est acté : il faut faire le deuil des Chiens de Navarre, version historique s’entend. Depuis 2021 et Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin, les Maxence Tual, Anne-Elodie Sorlin, Jean-Luc Vincent et autre Céline Fuhrer avaient poursuivi leur chemin dans d’autres aventures artistiques. Iels formaient auparavant le cœur d’une troupe qui nous a éblouis durant des années, d’audace, de rythme, de vitalité, avec cette manière de faire de leurs impros au plateau la matière d’un théâtre ultra vivant, hyper drôle, toujours surprenant et teinté d’une profonde mélancolie. À la baguette, le metteur en scène Jean-Christophe Meurisse a repris l’enseigne qu’il avait fondée pour créer des spectacles qui cherchent la même irrévérence tout en déployant des structures dramaturgiques plus affirmées. Il annonce même un tournant pour ce spectacle : « Un rire glaçant, nerveux, terrible, voire plus de rire du tout, le tout au service d’un propos plus narratif ». I will survive entrelace en effet deux histoires : celle de Cécile Gallot, femme violentée durant 20 ans par son mari et qui va finir par l’abattre, à celle de Didier Moreau, humoriste sur France Inter, qui est mis au ban de l’antenne pour une mauvaise blague aux relents sexistes. Les thématiques des violences faites aux femmes et de la justice reliant ces deux fils entre eux.
Là où chaque saynète nous emmenait ailleurs, loin, traquant via des assemblages baroques les frontières de l’acceptable de l’humour, c’est donc l’alternance de ces deux histoires qui fait ici tourner la machine. L’écho de l’affaire Jacqueline Sauvage graciée en 2016 par François Hollande après le meurtre de son mari, qui l’avait plus que fréquemment violentée au cours de leurs 47 années de mariage, et celui de la plus récente mise à l’écart de Guillaume Meurice (subliminale homophonie !) des antennes de France Inter leur dessinent une toile de fond, un référentiel dans le réel. Jean-Christophe Meurisse s’amuse d’ailleurs à brouiller les pistes, balançant des panneaux en guise d’épilogue, où se mélangent le vrai et le faux, et multipliant les clins d’œil plus ou moins explicites. L’infotainment de La Bande originale de Naguy se transforme ainsi en un épisode d’écolo bashing outrageusement rigolard à la Don’t look up, l’humoriste Didier Moreau évoque par son nom un Daniel Morin ou un François Morel qui chroniquent le matin sur France Inter… Tout un amusant jeu de pistes se déploie, qui incite à chercher sur qui, sur quoi, Meurisse pointe ses flèches acérées.
Car l’artiste a gardé le goût de la dialectique pour ne pas s’enfermer dans des directions univoques. Au génie de l’impro déroutante a toutefois succédé l’utilisation de figures comiques bien tradi – le flic macho, la flic concon, le détenu racaille, le politicien sans conviction… – que Jean-Christophe Meurisse ne parvient malheureusement pas à emmener ailleurs que sur les territoires de l’attendu. D’autres recettes tournent à vide. Une sélection de jurés en mode adresse directe improvisée ne débouche sur rien ; des manifs féministes durant le procès tournent court également ; une scène de rencontre amoureuse entre Cécile Gallot et son futur tortionnaire ne raconte vraiment pas grand-chose ; un cauchemar de Didier Moreau ne perd jamais le contrôle… Trop souvent, l’on reste déçu, trop rarement, l’on part d’un rire franc. Et, au final, on se dit que ce propos sur les violences conjugales, que cette dénonciation, qui se fait marquante lors de la scène de procès, aurait gagné à être davantage au cœur, au centre d’un spectacle qui se disperse et parait encore chercher son registre. D’autant que la réflexion sur l’humour et ses limites reste embryonnaire. Comme si Jean-Christophe Meurisse, dont les œuvres cinématographiques se font pourtant particulièrement décalées et personnelles, n’arrivait pas encore, côté planches, à trouver son nouveau style.
Ce n’est pas une mince affaire, il faut dire, que de se réinventer. Et peut-être revient-il aussi au spectateur qui reste dans la nostalgie des anciennes moutures de tourner la page, de revoir ses attentes pour mieux accueillir le nouveau. Au final : sur l’air champion du monde de I will survive, les sept interprètes débarquent tous et toutes en tenues de majorettes dorées pour entamer une chorégraphie finale dont l’objectif ultime semble bien être de laisser le spectateur sur une note d’enthousiasme. Las, corsetés par la difficulté de l’exercice, Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Georges Slowick et Fred Tousch – très convaincants et engagés par ailleurs – y mettent peu de fantaisie. Concentrés sur le décompte des temps, ils ressemblent à une troupe bien mise au pas. La maturation du spectacle y remédiera sans doute, mais les chiens fous paraissent ainsi domestiqués. Et tandis que la salle applaudit debout, un hurlement déchire les Nuits de Fourvière qui, au Théâtre National Populaire de Villeurbanne, accueille le spectacle. Celui d’une sauvagerie, d’une liberté perdue. C’est notre deuil personnel qui peut-être pousse un dernier cri. Jean-Christophe Meurisse dorénavant est ailleurs.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
I will survive
de Jean-Christophe Meurisse
Collaboration artistique Amélie Philippe
Avec Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Georges Slowick, Fred Tousch
Scénographie François Gauthier-Lafaye
Régie générale et régie plateau Nicolas Guellier
Création et régie lumière Stéphane Lebaleur
Création et régie son Pierre Routin
Création et régie costumes Sophie Rossignol
Machiniste Anouck DubuissonProduction Les Chiens de Navarre
Coproduction Les Nuits de Fourvière – Festival international de la Métropole de Lyon ; La Villette, Paris ; TAP – Scène nationale de Grand Poitiers ; Les Quinconces & L’Espal – Scène nationale du Mans ; Les Théâtres, Marseille ; Château Rouge – Scène conventionnée – Annemasse ; La Comète – Scène nationale de Châlons-en-Champagne
Avec l’aide à la création de la Région Île-de-France
Avec le soutien du Théâtre des Bouffes du Nord, de la Maison des Arts de Créteil et de la MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-DenisLa compagnie Les Chiens de Navarre est soutenue par la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture et par la Région Île-de-France au titre de la Permanence Artistique et Culturelle.
Durée : 2h
Vu en juin 2025 au TNP de Villeurbanne, dans le cadre des Nuits de Fourvière
TAP Scène nationale de Grand Poitiers
du 14 au 18 octobre
Les Quinconces / L’Espal, Scène nationale du Mans
du 4 au 6 novembre
Carré Sainte-Maxime
le 14 novembreFriche la Belle de Mai, Marseille, dans le cadre de la programmation hors les murs du Théâtre du Gymnase)
du 19 au 29 novembre
La Villette, Paris
du 4 au 13 décembre
Maison des Arts de Créteil
du 8 au 14 janvier 2026
L’Onde Théâtre, Centre d’art de Vélizy-Villacoublay, en coréalisation avec le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale
les 22 et 23 janvier
Les Bords de Scènes – Espace Jean Lurçat, Juvisy-sur-Orge
les 30 et 31 janvierMC2: Grenoble
du 4 au 6 février
Carré-Colonnes, Scène nationale de Bordeaux Métropole
du 26 au 28 février
Palais des Beaux-Arts de Charleroi (Belgique)
les 13 et 14 mars
Mars – Mons Arts de la Scène (Belgique)
les 18 et 19 mars
Châteauvallon-Liberté, Scène nationale, Toulon
du 28 mars au 2 avril
Les Salins, Scène nationale de Martigues
les 9 et 10 avril
Château Rouge, Scène conventionnée d’Annemasse
les 22 et 23 avril
L’Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône
les 6 et 7 mai
Manège, Scène nationale de Maubeuge
les 20 et 21 maiThéâtre des Bouffes du Nord, Paris
du 28 mai au 28 juin
Pour caustiques qu’elle se croyaient, les représentations des chiens de Navarre (Les armoires etc…) peinaient toujours à cacher le fond nauséabond qu’elles prétendaient dénoncer et parodier. Et ce n’était à mon sens qu’un affreux succedanné des Inconnus à la sauce snob du théâtre public le talent en moins peut-être. Ce spectacle de trop illustre bien que cette irrévérence ne recèle aucun fond, qu’elle n’est qu’une abjecte potacherie raciste se voulant anti-raciste, ostracisant tout et tout le monde dans une indifférence crasse. Dorier S.