Hugues Duchêne poursuit sa série de théâtre politique, Je m’en vais mais l’État demeure, démarrée il y a quatre ans avec trois épisodes qui parcouraient les années 2015-2018. Les trois nouveaux épisodes s’ouvrent sur les municipales de 2020 et se referment sur la Présidentielle de 2022. Il propose l’intégrale au Théâtre 13.
« Mais tonton, politiquement, comment on en est arrivé là ? ». Les enfants ont toujours de ces questions ! Le travail d’Hugues Duchêne tente moins d’y répondre qu’il n’y contribue, miroir d’une époque où les repères se perdent, direction un certain chaos. Je m’en vais mais l’État demeure, puzzle par épisodes d’une politique spectacle et people où l’on voit Zemmour de tout près, est un spectacle drôle et passionnant par ses ambiguïtés. Ne vous laissez pas impressionner par la durée annoncée du spectacle. 3 épisodes : 3h30, entractes compris, qui passent aussi vite qu’une bonne série. Hugues Duchêne et sa Cie du Royal Velours savent y faire pour mettre du rythme. Séquences télescopées, changements de personnages express, passages musicaux et autres séquences photos et vidéo, tout est rapide et maîtrisé et l’on aurait d’autant moins de raisons de s’ennuyer que nous voilà plongés dans le chaos bouffon d‘un monde politique qui donne pas mal à rigoler.
Hugues Duchêne, l’auteur et metteur en scène met en scène le récit de ses aventures, car il s’est amusé à infiltrer le monde politique. Avec pour principe, article 7 des règles qu’il s’est fixées, que « Tout est vrai. Sauf ce qui est faux ». Iels sont également 7 sur scène. Qui virevoltent autour du personnage principal, Duchêne, qui raconte Duchêne. Les années passées ont été compliquées, Covid oblige. Ces trois épisodes s’ouvrent sur les municipales de 2020 et se referment sur les présidentielles de 2022. Entre les deux, une page traitée en mode express, Hugues Duchêne seul en scène et dans son confinement. Là aussi, le rythme est maîtrisé, on passe vite. Auparavant, Duchêne côtoie la pantalonnade LREM des municipales à Paris (Gantzer qui finit chez Hanouna, Griveaux quittant la politique après la publication des photos de son sexe sur Internet, et Buzyn qui finit par perdre sans avoir même sans doute espéré gagner). Dans un troisième épisode assez stupéfiant, on le voit devenir photographe officiel d’Eric Zemmour !
On ne vous dévoilera pas tout ici des tribulations qui vont amener ce social-démocrate, ex Sciences Po militant PS, cultureux de gauche comme il se doit, à finir par suivre chaque étape de la campagne de Zemmour, produisant les photos que son équipe de com’ relaie sur les réseaux, imaginant pour lui une nouvelle affiche de campagne et, le soir des résultats, prenant dans ses bras une militante à serre-tête pour la consoler de la défaite. Entre sa peur d’être lynché pour trahison, les cas de conscience sur l’utilisation à faire de l’argent gagné, et l’incroyable révélation des coulisses d’une campagne où tout paraît s’improviser au jour le jour, ce troisième épisode constitue, comme on disait bien avant Internet, le véritable clou du spectacle.
« Mais, tonton, politiquement, comment en est-on arrivé là ? » demande donc son neveu à Hugues Duchêne dans un dialogue imaginaire qui ouvre la pièce, et en structure la narration. Là où ? Dans un ballet politique où les repères s’écroulent ? Où l’on passe aussi vite d’un camp à l’autre que de la politique à la télé ? Où l’on communique bien davantage qu’on n’établit des projets ? Où l’on cherche à résonner bien davantage qu’à raisonner ? Où tous les coups sont permis pour abattre ses adversaires… ? Le tableau que dépeint Duchêne est bien noir mais il ne date pas d’hier. Bref retour sur la mort de Robert Boulin. Sur la violence de Sarkozy. La politique est affaire de tueurs depuis longtemps si l’on en croit Duchêne. Et notre siècle a démarré avec le Loft, achèvement ultime de la société du spectacle qui ne permet plus de distinguer la fiction de la réalité, ni le vrai du faux, ni le storytelling des vraies destinées.
Alors, c’est donc le grand nawak. Et Duchêne et sa bande en font du grand foutraque. Farandole de personnages qui s’entrecroisent, parmi lesquelles des figures politiques et médiatiques connues imitées avec finesse. La farce de la comédie médiatique côtoie ici l’histoire personnelle d’Hugues Duchêne, sa famille et sa troupe qui ne sont pas moins moqués. C’est grinçant, plein de petites trouvailles scéniques, parfaitement réglé dans un ballet millimétré où les interprètes s’en donnent à cœur joie. On zappe, on mélange l’intime et le politique, on traficote les photos comme on joue certainement avec la vérité. L’univers et le travail de Duchêne n’ont finalement rien de plus que le monde qu’il dévoile. L’attrait du succès, le besoin d’être dans la lumière, le narcissisme du protagoniste sont également le produit de cette époque. Cela évite ainsi toute dimension moralisatrice et nous plonge doublement dans l’ambivalence de l’époque.
Duchêne est donc à la fois un amuseur tout ce qu’il y a de plus contemporain et le descendant du théâtre de foire qui commentait l’actualité. Lui et sa troupe créent un style, son style, un vrai truc unique qui n’existe nulle part ailleurs. Avec un personnage de gentil loser ambitieux, à la marge mais pas exclu du jeu, avec des scrupules mais pas non plus bouffé par la morale. Du genre qui pourrait bien y arriver. Sympathique à qui l’on ne confierait pas pour autant ses pires secrets. Et si le théâtre qu’iels proposent ici n’existe nulle part ailleurs, c’est aussi parce qu’il est abreuvé de notre modernité sans en faire un usage excessif. Dans cette modernité, le théâtre y apparaît d’ailleurs dans une forme de décrépitude. Comme un art prestigieux mais qui n’intéresse plus les puissants, comme un instrument satirique tellement confidentiel qu’ils n’arrivent même plus à s’en méfier. C’est aussi drôle que déprimant !
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Je m’en vais mais l’Etat demeure
Ecriture, conception et mise en scène Hugues Duchêne
Avec Pénélope Avril, Vanessa Bile-Aubouard, Théo Comby-Lemaître, Hugues Duchêne, Marianna Granci, Laurent Robert, Gabriel Tur
Collaboration à la mise en scène Gabriel Tur
Vidéo et collaboration artistique Pierre Martin
Costumes Sophie Grosjean et Julie Camus
Assistante à la mise en scène Anne-Laure Thumerel
Production Le Royal Velours
Coproduction Le Phénix – Scène nationale Pôle européen de création dans le cadre du Campus partagé Amiens – Valenciennes, La Comédie de Béthune – Centre dramatique national, la Maison de la Culture d’Amiens, Les 3T – Scène conventionnée de Châtellerault et Le Grand Cerf Bleu.
Le Royal Velours est soutenu par le réseau Puissance Quatre La Loge – Tu-Nantes – Théâtre Sorano – Théâtre Olympia – Centre dramatique de Tours, avec l’aide de la Région Hauts-de-France et de la DRAC Hauts-de-France.
L’année parlementaire 2018-2019 est coproduite par Le Théâtre de Vanves – Scène conventionnée, L’année 2019-2020 est coproduite par La Rose des Vents – Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq, l’Equinoxe – Scène nationale de Châteauroux, le Théâtre d’Herblay, le Théâtre au Fil de l’Eau à Pantin, le Théâtre de Thouars – Scène conventionnée, le Théâtre de la Renaissance – Scène conventionnée / Oullins, La Mégisserie – Scène conventionnée / Saint-Junien, avec le soutien du dispositif d’insertion de l’École du Nord soutenu par la Région Hauts-de-France et la DRAC Hauts-de-France, du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, la DRAC et la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur.
Accueil en résidence de La Loge, du CENTQUATRE-PARIS, de la Péniche Opéra – POP, de Mains d’œuvres, de la Comédie-Française, du Carreau du Temple, du Théâtre Paris-Villette et de La Scala Paris.Théâtre 13
du 7 au 26 juin 2022
Du mardi au vendredi à 20h / durée 1h10 par épisode
Les samedis et dimanches à 15h / intégrale 8h avec entracteLes mardis : épisodes 1-2-3
Les mercredis : épisodes 4-5-6
Les jeudis : épisodes 1-2-3
Les vendredis : épisodes 4-5-6
Les samedis et dimanches : intégrale – 6 épisodes
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