Le succès planétaire d’Antoine de Saint-Exupéry passe au plateau sous la direction de François Ha Van. Devenant un seule en scène avec voix off et projections animées sur une immense toile, le texte de l’aviateur, porté par Hoël Le Corre, perd en légèreté dans un spectacle qui ne parvient jamais vraiment à décoller.
On y réfléchira à deux fois la prochaine fois avant d’emmener son enfant voir Le Petit Prince. Car, au sortir de la version mise en scène par François Ha Van, on s’interroge sur la fameuse affirmation de Saint-Exupéry à propos de son texte : « C’est un livre pour enfants écrit à l’intention des grandes personnes ». On entendait avant : un livre écrit pour que les adultes redécouvrent leur âme d’enfant, leur capacité d’émerveillement, d’attachement, de désintéressement, de générosité… Mais on se demande maintenant s’il ne s’agit pas en réalité d’un livre vraiment écrit pour les grands, tant il semble raisonner et moraliser. On serait évidemment bien mal placé pour remettre en cause la valeur littéraire d’un conte philosophique qui a conquis le monde depuis son écriture en 1942, quelques mois avant que son auteur ne s’abîme dans la mer avec son avion, mais son passage au plateau semble ici davantage en souligner les défauts qu’en magnifier les qualités.
La faute certainement à un dispositif qui l’alourdit significativement. Le spectacle se prévaut d’avoir recours à la magie augmentée de l’illusionniste Moulla, mais c’est plutôt une animation XXL qui occupe l’immense toile tendue sur le plateau de La Scala. Des dessins apparaissent et disparaissent suivant le déroulé de la projection. Ils sont modernes, légers, de belle facture. Ils ont tendance à l’illustration, certes, mais préservent la dimension imaginaire du texte. Avec la voix de Philippe Torreton, qui endosse tout du long le rôle de l’écrivain aviateur narrateur, la comédienne Hoël Le Corre se retrouve donc à jouer avec des « personnages » dessinés en grand derrière elle – un mouton, une rose, les planètes… –, tout en jonglant avec le déroulé d’une voix off. Tout cela ne favorise en rien la fluidité de la représentation, et la jeune comédienne aux airs enfantins a beau se démener, elle peine à donner vie au spectacle tant sa mécanique est contraignante.
Porté par les accents bienveillants de Philippe Torreton, le texte de l’écrivain aviateur est ici mis en scène dans son entièreté. En parfaite fidélité, en toute intelligence. La mécanique de la voix off lui donne cependant un caractère vertical, sentencieux, qui surligne à l’excès les multiples enseignements qu’il distille. On avait le souvenir à la lecture, tout intérieure, d’un ton plus irrévérencieux, d’une fantaisie débridée. Peut-être le texte a-t-il aussi vieilli. Là où il développait la critique précoce d’une société de consommation accaparée par l’argent – Saint-Exupéry a écrit Le Petit Prince aux États-Unis –, la prescience a viré au conventionnel. Là où séduisait la fantaisie matinée de surréalisme à la Jacques Prévert, on se retrouve, faute d’un regard qui transfigure et d’une mise en scène qui dépasse la simple illustration, face à une litanie de tableaux un peu pesante, qui pourtant démarrait fort et s’achève avec une certaine poésie, dont on regrette alors qu’elle n’ait pas davantage baigné l’ensemble.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Le Petit Prince
d’après l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry (Editions Gallimard, 1946)
Mise en scène François Ha Van
Avec Hoël Le Corre
Création de magie augmentée Moulla
Création graphique Augmented Magic
Chorégraphie Caroline Marcadé
Création lumière Alexis Beyer
Création musicale Guillaume Aufaure
Remerciements à Philippe Torreton d’avoir prêté sa voix à Saint-ExupéryProduction Scala Productions & Tournées
Durée : 1h05
Vu en juillet 2024 à La Scala Provence
La Scala Paris
du 28 septembre 2024 au 31 mai 2025
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